Ancien dispositif « anti-hybride » et appréciation du taux de référence minimal (société prêteuse établie en Suisse)

La CAA de Toulouse apporte d’intéressantes précisions sur les modalités d’appréciation du taux de référence minimal d’une société prêteuse établie en Suisse pour l’application de l’ancien dispositif anti-hybride, ainsi que sur la portée des commentaires administratifs y afférents.  

Rappel

Pour les exercices ouverts avant le 1er janvier 2020, le b du I de l’article 212 du CGI subordonnait la déductibilité des intérêts afférents à des sommes laissées ou mises à disposition d’une entreprise par une entreprise liée au sens de l’article 39, 12 du CGI, à la condition que l’entreprise liée soit, au titre de l’exercice concerné, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le résultat dont le montant était au moins égal à 25 % de l’impôt français sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun.

Pour l’entreprise créancière domiciliée à l’étranger, ce taux s’entendait de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été établie. Dans ses commentaires au BOFiP, l’Administration précisait que, pour effectuer cette comparaison, il convenait de déterminer « le taux effectif d’imposition sur ces intérêts, en tenant compte des dispositions de la législation de l’Etat de l’entreprise créancière afférente à ces sommes (mesures d’abattement par exemple) » (BOI-IS-BASE-35-50, § 80, 1er août 2018).

Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2020, la LF 2020 a instauré un nouveau dispositif de lutte contre les dispositifs hybrides susceptibles de produire des effets fiscaux asymétriques (Règles « ATAD 2 », codifiées aux art. 205 B, 205 C et 205 D du CGI). Le dispositif de l’article 212, I-b a été supprimé à cette occasion (loi n°2019-1479 du 28 décembre 2019, de finances pour 2020, art. 45).

L’histoire

Une société française a versé, au titre des exercices 2014 à 2016, des intérêts à sa société mère suisse en rémunération d’avances en compte-courant.

La société française a entendu déduire les intérêts ainsi versés, ce que l’Administration a remis en cause en application de l’ancien dispositif anti-hybride, considérant que ces intérêts n’avaient pas donné lieu, chez la société suisse prêteuse, à une imposition minimale sur les bénéfices représentant au moins le quart de l’IS français déterminé dans les conditions de droit commun (soit, à l’époque des faits, 8,33 %).

La décision de la CAA de Toulouse

Sur l’application de l’ancien dispositif anti-hybride

Devant la Cour, la société française faisait valoir que sa mère suisse avait été assujettie à l’impôt fédéral suisse, au taux de 8,5 % (supérieur à 8,33 %).

Pour déterminer si les intérêts en cause ont été assujettis en Suisse à un impôt au moins égal à 25 % de l’impôt français, la CAA de Toulouse procède à une analyse de la loi fiscale suisse.

Après analyse (article 57 de la loi sur l’impôt fédéral direct), la Cour souligne que les impôts fédéraux, cantonaux et communaux sont « compris dans les charges justifiées par l’usage commercial » et viennent ainsi baisser la base de l’impôt de 8,5 %.

Ainsi, les intérêts versés à une entreprise résidente de Suisse sont soumis à un taux d’imposition effectif de 7,83 %. Ce taux étant inférieur au seuil de 25 % du taux de l’impôt de droit commun français, la CAA de Toulouse confirme l’absence de déduction en France, en application de l’article 212, I du CGI.

Rappelons que le juge de l’impôt a déjà posé le principe selon lequel il convient de se référer au taux effectif d’imposition – et non pas au taux légal (cas d’une société prêteuse mauricienne, facialement assujettie à un taux d’IS de droit commun de 15 %, mais ayant bénéficié d’un abattement de 80 %, aboutissant à un taux effectif de 3 %, CE, 13 juillet 2022, n°451533, SASU Thaï Union France Holding 2).

La société française a tenté, à titre subsidiaire, de faire valoir que l’Administration aurait fait une application « prématurée » de ses commentaires au BOFiP, la référence au taux « effectif » n’ayant été introduite dans la doctrine administrative qu’à compter du 15 avril 2014 – postérieurement à la clôture de son 1er exercice contrôlé, le 31 mars 2014.

La Cour écarte l’argument, considérant que la prise en compte du taux effectif découle de la loi fiscale elle-même, et non de la doctrine.

La requérante se prévalait, en outre, des commentaires administratifs aux termes desquels, pour déterminer le taux de référence minimal de la société créancière, il convient de tenir compte de son seul régime d’imposition, à l’exclusion « des charges de toute nature qui viennent par ailleurs diminuer (son) résultat imposable » (BOI-IS-BASE-35-50, § 60).

La Cour juge toutefois, de façon un peu lapidaire, que la référence aux « charges de toute nature » ne peut être regardée comme incluant l’impôt suisse, « alors même que la législation fiscale suisse prévoit qu’il est compris dans les charges justifiées par l’usage commercial ».

Notons que, dans ses conclusions sous la décision, le rapporteur public semble avoir eu quelques hésitations sur ce point. Il a finalement conclu que la notion de « charges de toute nature » à laquelle se réfère l’Administration vise les « charges de toute nature » au sens du droit fiscal français (qui s’oppose expressément à la déduction de l’IS pour la détermination du résultat imposable) et non du droit fiscal suisse (qui, a contrario, l’admet expressément).

Sur la compatibilité de l’ancien dispositif anti-hybride à la convention franco-suisse

La CAA de Toulouse confirme également que les dispositions de l’article 212, I-b ne contrevenaient pas à la clause de non-discrimination figurant à l’article 26 de la convention franco-suisse, dans la mesure où elles n’établissent aucune différence de traitement directement fondée sur le lieu de situation du siège de la société créancière (même raisonnement que celui retenu par le Conseil d’Etat dans sa décision SASU Thaï Union France Holding 2 précitée – pour la clause de non-discrimination prévue par la convention franco-mauricienne).

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.