Le Conseil d’État écarte, au cas d’espèce, la remise en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, de la déductibilité d’intérêts à un taux considéré comme excessif.
L’histoire
En 2014, une société exerçant une activité de marchand de biens a souscrit, afin de financer l’acquisition d’un immeuble en vue de sa revente, en plus d’un prêt bancaire et d’une convention de compte courant avec sa société mère, un prêt participatif auprès d’une société non liée (au sens des dispositions de l’article 39,12 du CGI).
Ce prêt participatif était rémunéré à un taux de 10,20 %, majoré de 50 % du résultat net comptable avant impôt de la société emprunteuse, dans la limite d’un taux de rendement interne de 17,5 %.
A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2015 et 2016, l’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, la déduction d’une fraction des intérêts qu’elle considérait comme excessifs.
Elle n’a ainsi admis en déduction que la partie des intérêts correspondant au taux moyen de marché, qu’elle a évalué à 2,466 % au titre de l’exercice 2015 et 2,39 % au titre de l’exercice 2016 (taux déterminés à partir de la moyenne des taux d’emprunts bancaires contractés par un panel de comparables au cours de la même période).
Les juges d’appel, devant lesquels l’affaire a été portée, ont confirmé le redressement, en relevant notamment qu’il aurait été dans l’intérêt de la société emprunteuse de garantir l’emprunt en consentant une sûreté immobilière au prêteur, et qu’en s’abstenant de le faire, elle avait consenti au versement d’intérêts excessifs au regard de son profil de risque.
Ils en ont conclu qu’en l’absence de toute contrepartie pour elle à une telle opération, elle s’était dès lors appauvrie à des fins étrangères à son intérêt.
La décision du Conseil d’État
L’acte anormal de gestion est constitué par l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt.
Il est de jurisprudence constante depuis une décision « SA Renfort Service » du Conseil d’État (CE, 27 juillet 1984, n° 34588) que c’est sur l’Administration que repose la charge de démontrer l’existence de l’acte anormal de gestion. Celle-ci doit établir 2 éléments distincts : d’une part l’appauvrissement objectif de l’entreprise et d’autre part l’intention que cette dernière a eu d’agir contre son intérêt.
Le Conseil d’Etat a toutefois dégagé 2 cas de dispense pour l’Administration de prouver l’intention : lorsque l’acte de gestion consiste en un avantage accordé par l’entreprise à une partie liée (CE, 21 novembre 1980 n° 17055) et lorsque l’acte de gestion est d’une nature si anormale que l’entreprise est présumée l’avoir intentionnellement consenti (CE, 26 février 2003, n° 223092, Sté Pierre de Reynal et cie).
Au cas d’espèce, le Conseil d’Etat censure à double titre, pour erreur de droit, la décision des juges d’appel.
Il leur fait grief, en 1er lieu, de n’avoir pas recherché si l’absence de sûreté immobilière consentie à la prêteuse s’écartait réellement de la pratique du marché, laquelle doit être appréciée au regard des conditions dans lesquelles un prêteur indépendant aurait consenti à une société présentant un risque de solvabilité similaire un prêt analogue par son objet, son montant, son échéance et ses modalités de remboursement (en ce sens, voir CE, 19 juin 2017, n°392543, Sté Général Electric France).
Le Conseil d’État leur reproche de plus – faute d’avoir établi l’existence de relations d’intérêt entre l’emprunteuse et la prêteuse – de n’avoir pas recherché si, en s’abstenant de constituer une telle sûreté, l’emprunteuse s’était délibérément appauvrie à des fins étrangères à son intérêt.
Ainsi que le souligne le rapporteur public dans ses conclusions, les affaires dans le cadre desquelles l’Administration remet en cause la déduction d’intérêts d’un prêt contracté à un taux excessif sur le terrain de l’acte anormal de gestion sont rares, dès lors que, lorsque les entreprises emprunteuse et prêteuse sont liées au sens de l’article 39,12 du CGI, le vérificateur peut se fonder sur le dispositif spécifique de l’article 212 du CGI, relatif au taux d’intérêt limite.
A cet égard, on signalera toutefois une récente décision de la CAA de Paris, dans le cadre de laquelle – alors même que les entreprises en présence étaient liées – le juge de l’impôt a indiqué que, pour pouvoir déduire la fraction d’intérêts excédentaires au taux légal dans le cas particulier d’une renégociation de prêt, l’emprunteuse devait, au préalable, « démontrer l’intérêt que présente pour elle une telle opération » (CAA Paris, 10 décembre 2024, n°23PA00330, Société Hermitage).