Acte anormal de gestion et dialectique de la charge de la preuve

Le Conseil d’Etat écarte, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, la déductibilité de redevances versées à une société n’étant pas le propriétaire de l’incorporel en cause et rappelle les principes bien établis de dévolution de la charge de la preuve en matière de justification des charges.

L’histoire

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, la déduction, par une société française, des redevances versées à une société britannique pour l’utilisation d’un progiciel de gestion intégrée, au titre des exercices 2011 à 2014.

Devant les juridictions, les débats se sont cristallisés autour de la question de la dévolution de la charge de la preuve.

La décision du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat rappelle d’abord le dispositif de dévolution de la charge de la preuve dans le cadre de la mise en évidence d’une situation qui procède d’un acte étranger à une gestion normale :

  • Dans un 1er temps, c’est au contribuable de justifier du montant des charges qu’il entend déduire de son bénéfice imposable ainsi que du montant de leur inscription en comptabilité, c’est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Celui-ci peut apporter la justification par la production de tout élément suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l’existence et la valeur de la contrepartie qu’il en a retirée.
  • Il incombe alors, dans un 2nd temps, à l’Administration, si elle entend s’opposer à la déduction, d’apporter la preuve de ce que la charge en cause n’est pas déductible par nature, qu’elle est dépourvue de contrepartie, qu’elle a une contrepartie dépourvue d’intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
  • Ce n’est donc que dans le cas où l’Administration fait valoir des éléments objectifs de nature à remettre en cause le principe même de la déductibilité des charges litigieuses ou à établir leur insuffisante contrepartie pour l’entreprise que cette dernière devra justifier dans le détail de l’intérêt que représentent pour elle ces charges par des éléments contradictoires à ceux revendiqués par le service (CE, 20 juin 2003, n°232832, Ets Lebreton ; CE, 21 mai 2007, n°284719, Sylvain Joyeux).

Au cas d’espèce, la société justifiait bien du principe de la déductibilité des redevances litigieuses par la production de la convention conclue avec la société britannique, des factures correspondantes et de la correcte inscription en comptabilité des redevances.

Néanmoins, l’Administration apportait, elle, la preuve de l’absence de contrepartie aux versements effectués par la requérante, en soulignant que la société bénéficiaire des redevances était une société dormante, n’exerçant aucune activité, et surtout, non propriétaire des droits d’exploitation du progiciel en cause.

La requérante n’apportant aucun élément de nature à remettre en cause ceux avancés par l’Administration, le Conseil d’Etat conclut à l’existence d’un acte anormal de gestion.

On pourra rapprocher cette solution d’une décision dans le cadre de laquelle le Conseil d’Etat a pu écarter, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, la déductibilité de redevances versées pour l’utilisation d’un brevet, dès lors que celui-ci était tombé dans le domaine public (CE, 30 septembre 2002, n°221030).   

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.