La CAA de Nantes confirme que des dissensions ponctuelles entre les concertistes ne permettent pas, à elles seules, d’écarter l’existence d’un contrôle conjoint et, partant, la mise en œuvre de l’amendement Charasse.
Rappel
Pour mémoire, l’amendement Charasse est un dispositif qui limite la déductibilité des charges financières en cas d’acquisition à titre onéreux, par une société membre d’une intégration fiscale des titres d’une société qui devient membre de la même intégration fiscale, lorsque cette acquisition a été effectuée auprès de personnes, physiques ou morales, qui contrôlent, directement ou indirectement, le groupe, ou auprès de sociétés que ces personnes contrôlent, directement ou indirectement, (CGI, art. 223 B, al. 6).
Les charges financières présumées liées à l’opération sont réintégrées à compter de l’exercice d’acquisition et des 8 exercices suivants. Leur montant est évalué forfaitairement en fonction du niveau d’endettement du groupe et du prix d’acquisition des titres. Dans ce cadre, le mode de financement de l’acquisition est sans influence sur la mise en œuvre de la réintégration.
Pour l’application de ce dispositif, le contrôle s’entend de celui défini à l’article L. 233-3 du Code de commerce. Le III de cet article dispose notamment que « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu’elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ».
La notion d’action de concert est, elle, définie à l’article L. 233-10 du Code de commerce, lequel prévoit que des personnes agissent de concert lorsqu’elles ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer les droits de vote, pour mettre en œuvre une politique vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société.
En pratique, le contrôle conjoint entraînant l’applicabilité de l’amendement Charasse implique donc la réunion de 2 conditions : l’existence d’une action de concert et la détermination en fait des décisions prises en assemblée générale par les concertistes (voir aussi CE, QPC, 1er février 2018, n°412155, Mi Développement 2 et CE, 15 mars 2019, n°412155, Mi Développement 2).
L’histoire
Une SAS est constituée en février 2007 par 3 personnes morales françaises détenant chacune environ 33 % du capital (une personne physique détenait marginalement quelques titres).
Peu de temps après la constitution de la SAS, l’ensemble de ses actionnaires a conclu un pacte comportant des clauses relatives à l’acquisition et à la cession des droits de vote attachés aux titres de la société et ayant pour finalité d’exercer une politique commune vis-à-vis de la SAS, notamment par la volonté d’assurer la stabilité de l’actionnariat (il prévoyait notamment un droit de préemption réciproque, des modalités de droit de sortie et une obligation de sortie conjointe, ainsi qu’une clause d’anti-dilution).
En recourant à des emprunts bancaires et obligataires, la SAS a acquis auprès de deux de ses principaux actionnaires, les titres de 2 sociétés françaises avec lesquelles elle a immédiatement formé un groupe d’intégration fiscale.
La procédure
A l’issue d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 2009 à 2013, l’Administration a estimé que l’ensemble des actionnaires agissaient de concert et contrôlaient conjointement la SAS et que les acquisitions par cette dernière des titres des sociétés aussitôt intégrées tombaient sous le coup de l’amendement Charasse.
Les juges du fond ont, dans un 1er temps, considéré que, si l’existence d’une action de concert entre les 3 principaux actionnaires ne faisait guère de doute, l’existence de dissensions, même ponctuelles, entre les concertistes suffisait à écarter l’existence d’un contrôle conjoint et donc d’écarter l’application de l’amendement Charasse (CAA Nantes, 30 janvier 2020, n°18NT00281).
Pour ce faire, ils se sont fondés sur la circonstance que l’un des actionnaires personne morale pouvait, compte-tenu de ses droits de vote, bloquer en AG l’adoption des décisions extraordinaires, soumises à une majorité renforcée (3/4 des voix) et qu’en pratique, un des actionnaires ne suivait pas « systématiquement » les positions communes des 2 autres actionnaires.
L’affaire a alors été portée devant le Conseil d’Etat, qui s’est saisi de l’occasion pour affiner la grille d’analyse permettant de déterminer s’il y a ou non exercice d’un contrôle conjoint :
- Existence d’un droit de véto des actionnaires minoritaires à l’égard de certaines décisions prises en AG (qu’il découle de l’exercice de droits de vote ou d’une clause statutaire) – imposant donc aux concertistes de se mettre d’accord pour adopter lesdites décisions ;
- Ce droit de véto porte sur les décisions stratégiques de la société (au cas d’espèce, nomination des membres du conseil de surveillance, du personnel dirigeant et approbation des principales décisions d’investissement) ;
- Absence d’opposition systématique de l’un de ces actionnaires.
Au cas d’espèce, le CE a jugé que cette dernière condition ne faisait pas défaut, l’un des actionnaires ne s’étant opposé, en réalité, aux 2 autres actionnaires qu’à 2 reprises (décisions relatives à une augmentation de capital et à la suppression du droit préférentiel de souscription reconnu aux associés) et, qui plus est, au titre de la seule année 2013, année non concernée par le contrôle (CE, 6 décembre 2021, n°439650,).
L’affaire a donc été renvoyée, après cassation partielle, à la CAA de Nantes.
La décision de la CAA de Nantes
Sans surprise, la CAA de Nantes fait sienne la grille d’analyse dégagée par le Conseil d’Etat et juge, à son tour, que les 2 points de désaccord intervenus entre les actionnaires au titre de l’exercice 2013 n’étaient pas de nature à écarter l’existence d’un contrôle conjoint.
Elle confirme donc la mise en œuvre de l’amendement Charasse.