Ancienne clause anti-abus de l’article 119 ter, 3 du CGI et arrêts « danois »

Le Conseil d’État vient de tirer (partiellement) les conséquences des décisions dites « danoises » de la CJUE, portant sur le régime d’exonération des retenues à la source sur les dividendes (affaires C-116/16 et C-117/16), dans le cadre notamment des affaires Holcim, Eqiom et Enka, relatives à l’ancienne clause anti-abus de l’article 119 ter, 3 du CGI.

On sait qu’avant le 1er janvier 2016, étaient exclus du bénéfice de l’exonération de retenue à la source les dividendes distribués à une société mère européenne, qui, bien que bénéficiaire effectif, était contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États non membres de l’Union Européenne (CGI, art. 119 ter, 3, avant modification par l’article 29 de la LFR 2015 procédant à la transposition de la clause anti-abus générale prévue par la Directive 2015/121/UE).

L’application de cette clause anti-abus a donné lieu à une véritable saga jurisprudentielle, dans une affaire intéressant la société Holcim, versant des dividendes à sa société mère établie au Luxembourg, et contrôlée par une société établie à Chypre, elle-même contrôlée par une société établie en Suisse. L’Administration lui avait refusé le bénéfice de l’exonération de retenue à la source en application de l’ancienne clause anti-abus, confortée en cela par les juges du fond (CAA de Versailles, 8 juillet 2015, n°13V301079, Sté Holcim SAS).

Les débats avaient ensuite porté, devant le Conseil d’État, sur l’euro-compatibilité de la clause anti-abus elle-même. Il avait sursis à statuer et transmis une question préjudicielle à la CJUE. Celle-ci avait alors jugé que tant la liberté d’établissement, que la clause anti-abus prévue par la directive, s’opposaient à ce que soit instaurée une présomption générale de fraude et d’abus pour écarter l’application de la retenue à la source, lorsque la société mère est contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d’États tiers (aff. C-6/16 du 7 septembre 2017).

Le Conseil d’État en a tiré les conséquences, et renvoyé l’affaire devant les juridictions du fond. Les débats s’étaient alors cristallisés autour de la notion de « bénéficiaire effectif » et de « bénéficiaire réel », l’Administration faisant valoir que la société luxembourgeoise interposée n’était pas le bénéficiaire effectif des distributions (au cas d’espèce, aucun élément ne permettait de prouver que cette société était bien le titulaire du compte bancaire suisse sur lequel les dividendes litigieux avaient été versés).

Un nouveau pourvoi a été formé devant le Conseil d’État, la société estimant que les dispositions de l’article 119 ter, 2 du CGI, qui subordonnent le bénéfice de l’exonération à la qualité de bénéficiaire effectif, étaient contraires à la directive mère-fille, laquelle, à la différence de la directive intérêts-redevances, ne comporte pas de référence à la notion de bénéficiaire effectif.

L’article 119 ter, 2 du CGI serait donc une transposition extensive de la Directive mère-fille.

Le Conseil d’État, tirant les conséquences de récents arrêts dits « danois » de la CJUE, infirme cette analyse.

Pour mémoire, la CJUE avait été saisie de litiges portant sur le régime d’exonération des retenues à la source sur les dividendes (affaires C-116/16 et C-117/16) et sur le régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents (affaires C-115/16, C-118/16, C-299/16 et C-119/16), dans le cadre desquels elle était venue préciser les conditions de mise en œuvre de la théorie de l’abus de droit et la notion de bénéficiaire effectif.

La Cour avait alors consacré l’existence d’un principe général de droit de l’Union, selon lequel les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union et avait proposé une grille d’analyse permettant d’établir l’existence d’un montage artificiel, constitutif d’une pratique abusive. Parmi les différents indices, figurait notamment l’existence d’un bénéficiaire effectif différent du bénéficiaire apparent.

Le Conseil d’État se réfère expressément aux affaires rendues en matière de dividendes, tant dans le visa, que dans le corps même de sa décision.

Il cite ainsi le point 111 des affaires C-116/16 et C-117/16, aux termes desquels la CJUE avait indiqué que les mécanismes de la directive mère-fille « sont conçus pour des situations dans lesquelles, sans leur application, l’exercice par les États membres de leurs pouvoirs d’imposition pourrait conduire à ce que les bénéfices distribués par la société filiale à sa société mère soient soumis à une double imposition (…). De tels mécanismes n’ont en revanche pas vocation à s’appliquer lorsque le bénéficiaire effectif des dividendes est une société ayant sa résidence fiscale en dehors de l’Union puisque, dans un tel cas, l’exonération de la retenue à la source desdits dividendes dans l’État membre à partir duquel ils sont versés risquerait d’aboutir à ce que ces dividendes ne soient pas imposés de façon effective dans l’Union ».

Il en conclut que la qualité de bénéficiaire effectif des dividendes doit être regardée comme « une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source » prévue par la directive mère-fille.

S’agissant de la charge de la preuve, le Conseil d’État rappelle que sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l’impôt, au vu de l’instruction et compte tenu, le cas échéant, de l’abstention d’une des parties à produire les éléments qu’elle est seule en mesure d’apporter et qui ne sauraient être réclamés qu’à elle-même, d’apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l’assujettissement à l’impôt ou, le cas échéant, s’il remplit les conditions légales d’une exonération.

En l’espèce, les sociétés requérantes n’ont pas été en mesure d’établir que la société luxembourgeoise était bien la titulaire du compte sur lequel les dividendes ont été versés.

Cette décision du Conseil d’État, si elle est loin de répondre à toutes les interrogations qui ont pu naître à l’issue des décisions « danoises » de la CJUE, apporte toutefois les éléments de réponse suivants :

  • Le Conseil d’État interprétera désormais les affaires liées à l’application de l’exonération de retenue à la source européenne sous le prisme des « décisions danoises »
  • L’absence de qualité de bénéficiaire effectif pourra constituer un fondement autonome de refus d’appliquer cette exonération, mais sans doute seulement dans la mesure où le bénéficiaire effectif ne sera pas lui-même établi dans l’Union européenne (des éléments de confort nous semblent devoir être trouvés dans la décision du Conseil d’État, éclairée par les conclusions de son rapporteur public dont nous vous conseillons la lecture).

 

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.