Application de la convention fiscale conclue entre l’État de source et l’Etat du bénéficiaire effectif « véritable » des revenus

Le Conseil d’État pose le principe de l’applicabilité de la convention fiscale conclue entre la France et l’Etat du bénéficiaire effectif des revenus, y compris dans l’hypothèse où ces revenus ont, au préalable, été versés à une entité intermédiaire/bénéficiaire apparent.

Rappel

La plupart des conventions fiscales comprennent des dispositions selon lesquelles les exonérations ou réductions de retenues à la source sur revenus passifs (dividendes, intérêts et redevances) ne sont accordées qu’au « bénéficiaire effectif » des sommes en cause.

À cet égard, on rappellera que le Conseil d’État a jugé, à plusieurs reprises, que les conventions fiscales contiennent implicitement une clause de bénéficiaire effectif, y compris celles conclues avant que la convention modèle ne la prévoie explicitement (CE, 13 octobre 1999, n°191191, Diebold Courtage ou plus récemment CE, 23 novembre 2016, n°383838, Eurotrade Juice).

Jusqu’à présent, l’administration fiscale, comme le juge de l’impôt, ne recourraient à la notion de bénéficiaire effectif que pour refuser le bénéfice d’avantages conventionnels (parfois en combinaison avec la fraude à la loi, CE, 29 décembre 2006, n°283314, Bank of Scotland, parfois sur le seul terrain conventionnel, CE, 5 février 2021, n°430594, Sté Performing Rights Society Ltd) ou tirés du droit européen (CE, 23 novembre 2016, n°383838, Eurotrade Juice ou encore CE, 5 juin 2020, n°423809, affaire Holcim).

En revanche, la question de l’application directe de la convention fiscale conclue avec l’État de résidence du « véritable » bénéficiaire effectif, une fois l’interposition du bénéficiaire apparent remise en cause, n’avait, semble-t-il, jamais été tranchée.

Dans ses arrêts dits « danois », portant sur le régime d’exonération des retenues à la source sur les dividendes (affaires C-116/16 et C-117/16), la CJUE s’était, de surcroît, montrée indifférente au bénéficiaire ultime des revenus. Elle avait jugé, à cette occasion, que la circonstance qu’un versement direct de la distributrice européenne à l’associé situé dans un État tiers aurait, en tout état de cause, bénéficié d’une exonération en vertu de la convention fiscale applicable, n’était pas un élément déterminant de nature à écarter l’existence d’un abus.

La question de l’invocabilité de la convention conclue avec l’État du bénéficiaire ultime du revenu pouvait, dès lors, sembler fragilisée.

L’histoire

En 2011, une société française avait versé à une société belge, puis de 2012 à 2014 à une société maltaise, des redevances en contrepartie de la sous-distribution de programmes sportifs à destination de clubs de fitness, élaborés par une société installée en Nouvelle-Zélande.

À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a considéré que ces versements devaient être soumis à la retenue à la source prévue à l’article 182 B du CGI, mais a ramené cette retenue au taux de 10 % prévu par la convention entre la France et la Nouvelle‑Zélande, estimant que le bénéficiaire réel des sommes versées était, en réalité la société néo-zélandaise (il semblerait qu’avant 2011, les paiements étaient directement effectués en faveur de cette société).

Devant les juges d’appel, les débats se sont cristallisés autour de la qualification des sommes litigieuses (redevances ou prestations de services).

Devant le Conseil d’État, se posait la question de la convention fiscale applicable. La société revendiquait, elle, l’application des conventions conclues avec la Belgique et Malte, notamment pour la qualification des sommes litigieuses.

La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État vient ici poser le principe de l’applicabilité de la convention conclue entre la France et l’État de résidence du bénéficiaire effectif « véritable », peu important que le flux transite préalablement par des entités intermédiaires.

Il juge ainsi que « les stipulations du 2 de l’article 12 de la convention fiscale franco‑néo‑zélandaise sont applicables aux revenus de source française, dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle Zélande, quand bien même elles auraient été versées à un intermédiaire établi dans un État tiers » (considérant n°3).

En revanche, il fait grief à la CAA de Marseille de n’avoir pas effectivement recherché si la société néo-zélandaise était bien elle-même le bénéficiaire effectif des sommes litigieuses, et lui renvoie l’affaire pour qu’elle soit jugée au fond.

On notera que, dans ses conclusions (conformes), le rapporteur public prend le soin d’indiquer que « la faculté, pour l’Administration, d’appliquer, ou pour le payeur français, de se prévaloir, de la convention fiscale conclue avec l’État de résidence du bénéficiaire effectif, ne saurait, selon nous, déboucher sur une obligation d’identifier systématiquement le bénéficiaire effectif de revenus passifs lorsqu’il apparaît que le destinataire des fonds est un simple intermédiaire ».

Autrement dit, il ne serait jamais fait obligation à l’Administration fiscale d’identifier elle-même le bénéficiaire ultime – et donc la convention fiscale applicable. En revanche, il est permis de penser que le contribuable pourra s’en prévaloir, à charge pour lui d’apporter les éléments de preuve nécessaires.

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Clara Maignan
Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.