Une récente décision de la CAA de Douai apporte des précisions intéressantes sur les modalités de détermination de la valeur vénale d’actions non admises à la négociation sur un marché réglementé, dans le cadre d’un contentieux relatif à une opération d’apport/acquisition de titres à prix minoré.
Rappel
Lorsque l’Administration établit que la cession d’un élément d’actif a été réalisée à un prix manifestement minoré (existence d’un « écart significatif » entre le prix de vente et la valeur vénale), l’intention libérale est présumée (CE, 28 février 2001, n°199295, Théron).
Le juge de l’impôt considère, en règle générale, qu’un écart significatif est un écart d’au moins 20 % (CE, 3 juillet 2009, n°3012999 ou encore CE, 31 mars 2010, n°297307).
Cette jurisprudence a, plus récemment, été transposée à l’hypothèse d’un apport à une valeur délibérément minorée. Dans ce cas, l’Administration en droit de corriger la valeur d’inscription des titres apportés et de rehausser le bénéfice imposable de la bénéficiaire à hauteur de la libéralité correspondant à l’écart entre la valeur comptable et la valeur réelle desdites actions (CE, 9 mai 2018, n°387071, Sté Cérès et CE, 26 juillet 2018, n°410166, SAS Société Nouvelle Cap Management SNCM).
Encore faut-il que l’Administration apporte la preuve de l’existence d’une telle libéralité. Elle doit, pour ce faire, établir l’existence, d’une part, d’un écart – sans contrepartie – significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien et, d’autre part, de l’intention d’octroyer une libéralité et, pour le bénéficiaire, de la recevoir. On retiendra que la jurisprudence présume l’intention libérale en présence d’une relation d’intérêts entre les parties.
L’histoire
En janvier 2013, une société holding a, dans le cadre d’opérations d’apport et d’acquisition réalisées le même jour, acquis la propriété des titres de 3 SAS.
Les titres ainsi reçus en apport et acquis ont été évalués par recours à la méthode de la valeur mathématique et inscrits sur la base de la valeur en résultant à l’actif de la société.
A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’Administration a estimé que les apports et les acquisitions de ces titres avaient été sous-évalués et a regardé ces opérations comme ayant été constitutives, dans la mesure de cette minoration, d’une libéralité (pour reconstituer la valeur vénale des titres litigieux, elle s’est fondée sur la combinaison de 3 méthodes, à savoir la valeur mathématique, la valeur de productivité et la valeur de rendement).
Le litige a été porté devant les juridictions, avant que la CAA de Douai n’ordonne une expertise contradictoire afin de déterminer la valeur des titres litigieux.
La décision de la CAA de Douai
Sur la reconstitution de la valeur des titres litigieux
La CAA rappelle, de manière classique, que la valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte-tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession ou l’apport est intervenu.
Cette valeur doit être établie prioritairement par comparaison avec des transactions contemporaines portant sur des titres de la société ou de sociétés similaires ; à défaut d’existence d’un tel comparable, l’Administration peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes (notamment CE, 21 octobre 2016, n°390421).
Elle valide ensuite la méthode d’évaluation retenue par l’expert, consistant à combiner la valeur mathématique et la valeur de productivité des titres (en écartant l’approche de la valeur de rendement, en raison du caractère fluctuant de la politique de distribution des dividendes par les sociétés, ainsi que l’approche de la survaleur).
A cet égard, l’expert a privilégié une approche indirecte de la valeur des fonds propres, calculée à partir d’un résultat d’exploitation normatif pondéré, déterminé après déduction des dotations aux amortissements et de l’impôt sur les sociétés, auquel a été appliqué le taux de capitalisation de 12,5 %, permettant d’obtenir la valeur d’entreprise, de laquelle il a été retranché la dette financière nette de chacune des sociétés à la clôture de l’exercice 2011.
La CAA confirme le choix de l’expert :
- de prendre en compte la dette financière des sociétés à la clôture de l’exercice 2011 plutôt qu’à la clôture de l’exercice 2012. En effet les opérations d’apport/acquisition ayant été réalisées le 4 janvier 2013, l’évaluation ne pouvait être fondée sur les comptes clos au 31 décembre 2012 dont les données n’étaient pas encore connues à cette date.
- de déterminer le bénéfice moyen de l’entreprise à partir de l’excédent brut d’exploitation plutôt que du résultat d’exploitation (le guide de l’évaluation des entreprises publié par l’Administration en 2006 admet le recours à ces deux méthodes).
- de prendre en compte les dividendes versés au cours de l’exercice 2012 pour le calcul de la dette financière nette (le guide de l’évaluation publié par l’Administration définit l’endettement financier net comme la différence entre les dettes financières et la trésorerie, dont le versement des dividendes constitue l’un des flux).
Sur l’existence d’un écart significatif entre la valeur d’apport/d’acquisition et la valeur vénale des titres
La valeur des titres ainsi reconstituée par l’expert mettait en évidence des écarts oscillant entre 12 % et 15 % entre le prix convenu et la valeur vénale des titres litigieux.
La Cour juge que de tels écarts ne sauraient être regardés, en l’absence d’allégation d’une situation qui serait propre à ces sociétés, comme significatifs.
Rappelons que, si le juge de l’impôt considère, en règle générale, qu’un écart significatif est un écart d’au moins 20 %, il a plus récemment pu juger qu’eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, un écart de 14,1 % pouvait également être regardé comme significatif (CE, 7 avril 2023, n°466247, Sté Crédit Agricole).