La seule circonstance qu’une société bénéficie d’un apport pour une valeur délibérément majorée ne saurait, par elle-même, traduire l’existence d’un appauvrissement de la société bénéficiaire de l’apport au profit de l’apporteur et, partant de l’octroi d’une libéralité en sa faveur.
Rappel
Par principe, l’inscription d’un bien à l’actif du bilan pour un prix excessif ou, au contraire, minoré n’entraîne, en elle-même, la constatation d’aucun profit, ni d’aucune perte (CE, 17 novembre 2000, n°179294).
Toutefois, le Conseil d’État a jugé, dans l’hypothèse d’un apport à une valeur délibérément minorée, que l’Administration était en droit de corriger la valeur d’inscription des titres reçus et de rehausser le bénéfice imposable de la bénéficiaire à hauteur de la libéralité correspondant à l’écart entre la valeur comptable et la valeur réelle desdites actions (CE, 9 mai 2018, n°387071, Sté Cérès et CE, 26 juillet 2018, n°410166, SAS Société Nouvelle Cap Management SNCM).
Encore faut-il que l’Administration apporte la preuve de l’existence d’une telle libéralité. Elle doit, pour ce faire, établir l’existence, d’une part, d’un écart – sans contrepartie – significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien et, d’autre part, de l’intention d’octroyer une libéralité et, pour le bénéficiaire, de la recevoir. On retiendra que la jurisprudence présume l’intention libérale en présence d’une relation d’intérêts entre les parties.
Le Conseil d’État a eu l’occasion récemment de se prononcer sur la question de l’application de la jurisprudence Cérès en cas d’apport à une valeur majorée.
L’histoire
En 2011, un contribuable a apporté à une société (dont lui et son épouse étaient les uniques associés) l’usufruit temporaire pour une durée de 17 ans des parts d’une société (qu’il contrôlait également) pour une valeur fixée à environ 3 m€.
L’Administration a remis en cause cette valorisation, estimant que la valeur de l’usufruit temporaire était de seulement 621 k€ versus 3 m€. Elle a donc considéré que la différence devait être regardée comme un avantage occulte consenti par la société bénéficiaire de l’apport à ses associés apporteurs, imposable sur le fondement de l’article 111, c du CGI.
La CAA de Lyon, dans un considérant de principe très inspiré de la décision Cérès précitée, a confirmé le redressement.
La décision
Le Conseil d’État s’écarte de la solution retenue par la Cour d’appel et juge que la seule circonstance qu’une société bénéficie d’un apport pour une valeur délibérément majorée ne saurait, par elle-même, traduire l’existence d’un appauvrissement de la société bénéficiaire de l’apport au profit de l’apporteur recevant en contrepartie les titres de la société bénéficiaire de l’apport et, partant de l’octroi d’une libéralité en sa faveur.
Dans ses conclusions très éclairantes, le rapporteur public explicite la décision (un peu lapidaire) du Conseil d’État, en indiquant que, « dans le cas d’un apport consenti pour une valeur délibérément majorée, le simple fait que la société bénéficiaire de l’apport remette des titres de son capital en rémunération de cet apport ne caractérise pas un appauvrissement de la société car, sauf circonstances particulières, cette remise de titres ne lui coûte rien, mais entraîne plutôt une dilution à due proportion des droits des autres associés ». Il suggère qu’en pratique, l’éventuelle libéralité devrait plutôt être recherchée du côté des associés dilués (en l’espèce, la question ne se posait pas, les seuls associés étant les 2 époux).