Accord entre la France et la Suisse sur les conditions d’imposition des salariés frontaliers exerçant une partie de leur activité en télétravail

Les modifications apportées par la loi de finances pour 2023

Les revenus tirés d’une activité professionnelle, exercée en France, constituent des revenus de source française en application des articles 4 B et 164 B du Code général des impôts.

Depuis le 1er janvier 2019, les employeurs français ou étrangers de salariés résidents fiscaux de France exerçant tout ou partie de leur activité professionnelle en France sont tenus de déclarer, mensuellement, la rémunération imposable en France et de prélever à la source pour le compte du Trésor public français l’impôt sur le revenu y afférent. Pour les employeurs étrangers qui ne relèvent que de la sphère fiscale française, cette obligation fiscale est connue sous l’appellation « PASRAU ».

L’article 3 de la Loi de Finances pour 2023, définitivement adoptée le 17 décembre 2022 modifie la méthode de recouvrement de l’impôt sur le revenu et opère une simplification du pan déclaratif pour les employeurs étrangers ainsi que pour leurs salariés qui exercent, à titre occasionnel, leur activité professionnelle depuis la France, Etat de résidence fiscale.

En substance, les revenus perçus à compter du 1er janvier 2023 feront désormais l’objet d’un acompte contemporain (article 204 C du Code général des impôts) prélevé directement sur le compte bancaire du contribuable en lieu et place des obligations mensuelles PASRAU à la charge de l’employeur étranger.

Ce système de paiement de l’impôt à la source est déjà bien connu des travailleurs frontaliers avec la Suisse, dès lors que leur employeur est situé dans l’un des huit cantons signataires de l’accord spécifique avec la France du 11 avril 1983. Dans ce cas, et sous réserve que le salarié commute de manière hebdomadaire entre la France et la Suisse, l’employeur suisse est libéré des obligations d’enregistrement et déclaratives PASRAU.

Les questions qui entourent l’application géographique du nouveau dispositif

La question s’est posée de savoir si ce nouveau dispositif était applicable pour l’ensemble des employeurs établis en Suisse, quel que soit le canton.

Le dispositif mis en place à l’article 3 du PLF 2023 prévoit deux conditions d’application (dont la 2e a été reprécisée par le Gouvernement par voie d’amendement devant le Sénat – cf. ci-dessous), à savoir :

 

  1. l’employeur doit être établi hors de France dans un Etat membre de l’Union Européenne ou un Etat ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale et une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesure y compris si celle-ci est limitée au recouvrement de l’impôt dû au titre de ces traitements et salaires, et qui n’est pas un Etat ou territoire non coopératif au sens de l’article 238-O A du Code général des impôts 
  1. le salarié ne relève pas d’un régime obligatoire français de sécurité sociale par application de l’article 13 du Règlement (CE) n°883/2004 (ce qui vise les salariés exerçant une activité professionnelle en France de manière non substantielle ce qui correspond à une durée effective de moins de 25 % de leur temps de travail selon les dispositions de l’article 14 §8 du règlement CE n°987/2009).

Si l’affirmation que la Suisse est bien située hors de France, qu’elle n’est pas membre de l’Union européenne et qu’elle a signé avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale ne fait aucun doute, est-il aussi évident de considérer qu’elle a signé avec la France une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 ?

D’un point de vue chronologique, tout d’abord, rappelons que la France et la Suisse ont signé à Berne un avenant en date du 27 août 2009 à la convention fiscale internationale de 1966, entré en vigueur le 4 novembre 2010.

L’article 8 de cet avenant prévoit l’insertion d’un article 28 Bis à la Convention, portant sur une assistance mutuelle entre les deux Etats « pour la notification des actes et documents relatifs au recouvrement des impôts visés par la Convention ».

Pour autant, cet article a-t-il une portée similaire à la Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances ? Rien n’est moins sûr.

Déjà, parce que le Conseil a promulgué cette Directive le 16 mars 2010, donc après l’avenant à la Convention entre la France et la Suisse. Il est donc plus difficile d’avoir un champ d’application similaire, d’autant plus qu’aucun avenant n’a été signé entre les deux Etats postérieurement à celui d’août 2009.

Ensuite, la Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 est un instrument réglementaire qui consacre plusieurs formes d’assistance mutuelle (7) : la fourniture ou l’échange de renseignements pour le recouvrement des créances (chapitre II), la notification au débiteur de tout document relatif à ces créances (chapitre III) mais également la mise en place de mesures conservatoires de nature à garantir le recouvrement des créances ou le recouvrement lui-même (chapitre IV).

L’assistance mutuelle en matière de recouvrement prévue par la Directive porte donc sur un spectre bien plus large que celui de l’avenant de 2009 à la Convention fiscale signée entre la France et la Suisse : dans l’échelle de l’assistance mutuelle entre Etats, la notification ne représente qu’un des trois pans prévus par la Directive, pour ne pas dire le moins contraignant pour l’Etat requis puisque rien ne l’oblige à assister l’Etat requérant pour recouvrir effectivement les créances fiscales auprès du débiteur.

Si le Conseil d’Etat (CE 26 janvier 2021, N° 429381) a bien confirmé que l’assistance à la notification, prévue par la Convention fiscale, a une portée similaire à celle de la Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 sur cet aspect, du constat précédent, nous pouvons conclure sans équivoque que le contenu de la Directive a un champ matériel plus étendu que celui de la Convention franco-suisse.

Par conséquent, à défaut d’être signataire d’une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la Directive 2010/24/UE du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement, il semblait résulter de cette rédaction que la Suisse pouvait être exclue du champ d’application de l’article 3  de la LF pour 2023.

Ce constat soulevait déjà une incohérence avec la référence à l’article L 380-3-1, I du Code de la sécurité sociale qui fait une référence aux « travailleurs frontaliers résident en France et soumis obligatoirement à la législation suisse de sécurité sociale […] ».

Nous pouvons toutefois en conclure à une maladresse de plume dans la rédaction de cet article.

En effet, un amendement de précision du Gouvernement du 18 novembre 2022 est venu recentrer le dispositif et inclut expressément la Suisse dans le champ territorial de l’article 3 : « cet amendement de précision vise à recentrer le champ de la mesure prévue à l’article 3 du présent projet de loi de finances sur les seules situations de pluriactivité en Europe, dans lesquelles se trouvent les salariés résidents fiscaux français d’employeurs situés dans d’autres Etats membres de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou en Suisse exerçant ponctuellement une partie de leur activité en France, notamment en recourant au télétravail. […] Il vise principalement à apporter une solution aux difficultés dont ont fait état certains employeurs étrangers (notamment suisses et luxembourgeois) dont les salariés télétravaillent ponctuellement depuis leur domicile situé en France. » 

Ces précisions lèvent donc le doute sur l’inclusion de la Suisse dans le champ d’application territorial de cette mesure d’assouplissement des obligations fiscales en France des employeurs étrangers.

Pour autant, à ce jour, l’article 3 n’a fait l’objet d’aucun amendement pour modifier sa rédaction et inclure spécifiquement la Suisse au terme du 1er alinéa. La Loi de finances pour 2023 a donc été promulguée en l’état.

Des commentaires de l’administration fiscale qui devraient venir clarifier les zones d’ombre qui entourent la mise en œuvre pratique du dispositif

Nous attendons avec impatience les commentaires de l’administration fiscale sur ce dispositif ainsi que sa mise en œuvre pratique. En effet, alors que cette mesure vise à assouplir les obligations fiscales pesant sur la tête des employeurs étrangers, en l’état actuel, elle transfère la difficulté pratique sur celle des salariés qui devront orchestrer un pilotage millimétré pour concilier le respect de leurs obligations fiscales françaises ainsi que la gestion de leur trésorerie, le mécanisme de l’acompte contemporain présentant une incohérence chronologique, en l’absence de demande spontanée d’ajustement du contribuable.

Enfin, ce même amendement est venu recentrer le champ d’application de ce dispositif aux salariés qui ne relèvent pas d’un régime obligatoire de sécurité sociale français par application de l’article 13 du règlement (CE) n°883/2004 ce qui vise expressément les personnes exerçant moins de 25 % de leur activité professionnelle en France.

Si ce dispositif semble assouplir les règles fiscales en matière de télétravail incidentaire en France pour les travailleurs frontaliers, les employeurs suisses de salariés détachés en France feront toujours face aux obligations fiscales PASRAU avec toutes les contraintes connues et issues des dispositions de l’article 271-1 du Code Pénal Suisse (ex. Genève, Zurich, Zoug).

Rappelons à cet égard que la France et la Suisse ont conclu un accord amiable provisoire en date du 18 juillet 2022. Cet accord reprend les mécanismes dérogatoires contenus dans l’accord amiable du 13 mai 2020 et est issu du souhait des deux Etats « de définir de nouvelles règles d’imposition pérennes en matière de télétravail ».

Ce futur accord devrait voir le jour au cours de l’année 2023, dans l’attente d’une ratification ultérieure par les deux Etats. A cet égard, un communiqué de presse du 22 décembre 2022 annonce un accord pour augmenter le seuil de télétravail depuis le domicile en France à 40 % du temps de travail par an. Nous reviendrons sur cette actualité dans les prochains jours.

 

Magda Yasumoto

Magda Yasumoto, Avocat Associée, au sein de la ligne de service Global Employer Services (GES). Elle a rejoint Deloitte en 2003 et compte un peu plus de 14 années d’expérience […]

Romain Ressiguier

Romain travaille depuis plus de 10 ans dans le domaine de la mobilité internationale, accompagnant les particuliers ainsi que les multinationales cessionnaires (entreprises étrangères et françaises) avec leurs obligations fiscales […]