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Article 155 A du CGI : précisions sur la charge de la preuve et confirmation de la compatibilité avec le droit de l’Union européenne

La CAA de Paris juge que les sommes versées par une société française à une société belge en rémunération des fonctions exercées en France par le gérant et unique associé de cette dernière sont imposables entre ses mains sur le fondement de l’article 155 A du CGI, et rejette le grief tiré de la contrariété au droit de l’Union européenne.

Rappel

Pour mémoire, l’article 155 A, I du CGI vise à dissuader les contribuables susceptibles d’être soumis à l’impôt en France (prestataires réels) de s’y soustraire en faisant percevoir leur rémunération pour services rendus par des personnes établies à l’étranger (personnes interposées). Ainsi, les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :

  • Lorsque ce prestataire réel contrôle directement ou indirectement la personne interposée ; ou
  • Lorsque ce prestataire réel n’établit pas que la personne interposée exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; ou
  • Lorsque la personne interposée est domiciliée ou établie dans un pays étranger où elle est soumise à un régime fiscal privilégié, au sens de l’article 238 A du CGI.

Ces règles sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France ou pour les droits qui y sont exploités ou utilisés (CGI, art. 155 A, II).

Il appartient alors à l’Administration d’apporter des éléments suffisants permettant d’établir que la prestation a été réalisée en France, à charge pour le contribuable de fournir ensuite, le cas échéant, toutes justifications utiles sur le lieu d’exercice de ses activités professionnelles (CE, 22 janvier 2018, n°406888).

Enfin, rappelons que l’article 155 A du CGI a été complété par la LF 2024, qui a notamment étendu ce dispositif aux sommes versées en contrepartie de l’exploitation commerciale de droits attachés à l’image, au nom ou à la voix d’une ou plusieurs personnes, de l’usage de droits d’auteur ou de droits voisins, ou encore de la propriété industrielle ou commerciale, ou de droits assimilés.

L’histoire

Un résident fiscal belge exerçait des fonctions de directeur général au sein d’une société française, en vertu d’un contrat conclu entre cette dernière et une société de droit belge dont il était le gérant et l’unique associé. En exécution de ce contrat, la société française versait à la société belge des sommes correspondant à la rémunération des fonctions de direction générale assurées par le contribuable.

À l’issue d’un ESFP portant sur les années 2013 et 2014, l’administration fiscale a estimé, sur le fondement de l’article 155 A du CGI, que les sommes versées par la société française à la société belge étaient imposables en France entre les mains du contribuable. Elle a, en conséquence, assorti ces impositions d’une majoration de 40 % pour défaut de dépôt des déclarations de revenus.

Elle relève à cet égard que :

  • le contribuable, en sa qualité de gérant et d’unique associé de la société belge, en assurait le contrôle ;
  • qu’il n’avait, par ailleurs, perçu aucune rémunération directement de la société française pour les fonctions de direction exercées ; et
  • que cette dernière avait mis à sa disposition les moyens matériels nécessaires à l’exercice de ses fonctions, notamment en prenant en charge les frais de déplacement et de logement du contribuable en France, refacturés à la société française par la société belge.

L’affaire a été portée devant les juridictions.

La décision de la CAA de Paris

Sur l’application de l’article 155 A du CGI

La CAA de Paris confirme le redressement sur le fondement de l’article 155 A du CGI et rappelle, à cet égard, le principe dégagé par le Conseil d’État selon lequel l’Administration apporte effectivement la preuve que les sommes perçues par une personne établie ou domiciliée hors de France, en rémunération de services rendus par une personne établie ou domiciliée en France, sont imposables au nom de cette dernière, par la production d’éléments établissant que ces personnes ont réalisé les prestations en cause et qu’elles contrôlent celle qui en perçoit la rémunération (CE, 22 janvier 2018, n°406888, précité).

Cette démonstration étant faite, il appartient au contribuable d’établir que la facturation opérée par la société située hors de France correspond à une contrepartie réelle résultant d’une intervention propre, de sorte que le service doit être regardé comme ayant été rendu pour son compte.

Au cas d’espèce, le requérant soutenait que la société belge disposait d’une réelle consistance : elle exerçait déjà une activité avant la conclusion du contrat avec la société française, employait plusieurs salariés et tirait moins de la moitié de son chiffre d’affaires de cette relation contractuelle. Il faisait également valoir que le contrat portait sur des missions variées et non uniquement sur les prestations de direction générale (notamment recrutement du personnel, mise en place d’un plan d’investissement et d’assistance informatique, etc.).

La Cour écarte ces arguments et juge que l’existence d’autres contrats conclus antérieurement par la société belge ne démontre pas qu’elle a elle-même exécuté les prestations de direction générale pour la société française. Le requérant n’apporte pas davantage la preuve que les salariés de la société belge étaient affectés à ces prestations, ceux-ci travaillant pour d’autres activités de la société. La Cour relève en outre qu’une part significative du chiffre d’affaires de la société belge provenait de la société française, et qu’aucun élément ne permet d’établir que les autres missions mentionnées au contrat auraient été effectivement réalisées.

Elle précise enfin que la qualité de résident fiscal belge du requérant est sans incidence, dès lors qu’il n’est pas contesté que les prestations ont été exécutées en France.

En conséquence, la Cour juge que le requérant n’établit pas que la facturation opérée par la société belge correspondait à une contrepartie réelle résultant d’une intervention propre, et que les services doivent dès lors être regardés comme ayant été rendus pour son compte.

Sur la contrariété avec le droit de l’UE

Le contribuable réitère sa demande de transmission à la CJUE d’une question préjudicielle sur la conformité des dispositions de l’article 155 A du CGI au droit de l’Union européenne, et en particulier aux libertés d’établissement et de prestation de services.

La CAA juge que les dispositions de l’article 155 A, telles qu’interprétées en l’espèce, visent uniquement l’imposition des services essentiellement rendus par une personne établie ou domiciliée en France, qui ne trouvent aucune contrepartie réelle dans une intervention propre d’une personne établie ou domiciliée hors de France. En l’absence d’une telle contrepartie permettant de regarder les services comme rendus pour le compte de cette dernière, la liberté de s’établir hors de France ne saurait être regardée comme entravée.

Elle refuse de transmettre à la CJUE, la question préjudicielle soulevée par le contribuable.

La Cour s’inscrit ainsi dans la ligne d’une jurisprudence constante du Conseil d’État, qui a jugé que les dispositions de l’article 155 A ne méconnaissent ni la liberté d’établissement (CE, 20 mars 2013, Piazza, n°346642) ni la libre prestation de services (CE, 4 décembre 2013, n° 348136).

  • Béatrice Hingand

    Associée, Béatrice Hingand développe son expertise au sein du Comité scientifique fiscal, renforce l’éminence Deloitte et les liens avec l’administration.…