Cet article a initialement été publié dans Option Finance N°1537 – 9 au 15 décembre 2019. Il est reproduit sur notre blog avec l’accord de l’éditeur.
Le Conseil d’Etat a récemment opéré un revirement de sa jurisprudence relative au transfert des passifs fiscaux latents d’une société à une autre du fait d’un apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions (CE, 9 octobre 2019, n° 414122, Société Printemps). Revenant sur sa position antérieure, il juge pour la première fois que la société bénéficiaire d’un tel apport est recevable à contester le bien-fondé d’un impôt attaché à la branche d’activité apportée dont le fait générateur est antérieur à l’apport. Il considère en effet désormais que les sociétés apporteuse et bénéficiaire sont débitrices solidaires de cet impôt et que, dès lors, la société bénéficiaire a qualité pour en contester le bien-fondé.
Cette décision est l’occasion de revenir sur un certain nombre d’enjeux propres aux opérations d’apports préalables à une cession et de tirer les conséquences du revirement de jurisprudence opéré.
Tout d’abord, le Conseil d’Etat rappelle que la société bénéficiaire d’un apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions est, sauf dérogation prévue dans le traité d’apport, débitrice des impositions relatives à la branche d’activité apportée dont le fait générateur est antérieur à l’apport. Cela signifie que la société bénéficiaire de l’apport peut se voir transférer, par l’effet de la transmission universelle de patrimoine attachée au régime des scissions, des risques fiscaux nés antérieurement à cet apport (voir notamment CE, 4 août 2006, n° 260436, SA Financière de l’Erable). Dès lors, même en cas d’acquisition d’une société nouvelle, des due diligences fiscales sont nécessaires lorsque cette société a préalablement bénéficié d’un apport partiel d’actif soumis au régime des scissions et qu’ainsi, des risques fiscaux sont susceptibles de lui avoir été transférés.
Ensuite, s’alignant sur la position de la Cour de cassation (Cass. com., 12 décembre 2006, n° 1428 FS-PBIR, Sté Hydraulique PB c/ Sté EBF), le Conseil d’Etat évolue toutefois et juge que la société bénéficiaire n’est plus seule débitrice de l’impôt mais qu’elle en est débitrice solidaire avec la société apporteuse. Cette évolution met fin au paradoxe qui résultait de sa jurisprudence antérieure : la société bénéficiaire, bien que seule débitrice de l’impôt, ne pouvait pas en contester l’assiette, cette prérogative étant réservée à la société apporteuse seule rede-vable légale (CE, 14 janvier 2008, n° 273169, Torelli). Désormais, dès lors que la société bénéficiaire est débitrice solidaire de l’impôt, elle en devient également redevable et justifie d’un intérêt lui conférant qualité pour en contester le bien-fondé, et ce dans la limite des sommes dont elle peut être déclarée redevable au titre de cette solidarité.
D’un point de vue pratique, cette décision invite à prêter une attention renforcée aux modalités de répartition de la responsabilité des contentieux fiscaux entre sociétés apporteuse et bénéficiaire : – en raison de la solidarité désormais reconnue entre les sociétés apporteuse et bénéficiaire, il conviendra de prévoir contractuellement les responsabilités de chacune à l’égard d’un potentiel contentieux d’assiette ou de recouvrement ; – par ailleurs, dans l’hypothèse où les parties dérogeraient à la solidarité, comme le Code de commerce les y autorise, il nous semble que la société bénéficiaire étant alors seule débitrice de l’impôt et non pas débitrice solidaire, elle ne pourra pas en contester le bien-fondé. Ainsi, sauf si l’impôt est intégralement couvert par une garantie de passif, il sera nécessaire de prévoir contractuellement la possibilité pour la société bénéficiaire de l’apport, ou son acquéreur, d’intervenir afin de diriger le contentieux d’assiette que seule la société apporteuse sera en droit de mener.
Enfin, en cas de dérogation au régime juridique des scissions afin d’exclure le transfert des passifs fiscaux, il conviendra d’en appréhender les autres conséquences fiscales, notamment au regard de l’application du régime de neutralité fiscale auquel l’apport pourrait dans certaines situations être soumis.