La CAA de Douai juge que l’Administration ne peut refuser de tenir compte, pour déterminer la valeur vénale d’un fonds de commerce afin de mettre en évidence une cession à prix minoré, du prix retenu pour la revente, le même jour, de ce même fonds.
Rappel
Lorsque l’Administration établit que la cession d’un élément d’actif a été réalisée à un prix manifestement minoré (existence d’un « écart significatif » entre le prix de vente et la valeur vénale), l’intention libérale est présumée (CE, 28 février 2001 n°199295, Théron).
Le juge de l’impôt considère, en règle générale, qu’un écart significatif est un écart d’au moins 20 % (CE, 3 juillet 2009, n°3012999 ou encore CE, 31 mars 2010, n°297307).
C’est alors au contribuable de justifier que l’appauvrissement en résultant a été décidé dans son intérêt, soit qu’il se soit trouvé dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’il en ait tiré une contrepartie (CE, 21 décembre n°402006, Sté Croë Suisse, rapidement confirmée à plusieurs reprises, notamment CE, 6 février 2019, n°410248, SARL Alternance et CE, 15 février 2019, n°407531, SARL Hulia).
L’histoire
En mai 2011, une société a vendu à un marchand de biens le fonds de commerce de restauration qu’elle exploitait. Le jour même, l’acquéreur revend ce fonds de commerce pour le triple du prix d’acquisition d’origine tout juste acquitté.
A l’issue d’une vérification de comptabilité de la société cédante, l’Administration a estimé la valeur vénale du fonds de commerce à hauteur de plus de 7 fois le prix de cession d’origine et a, dès lors, considéré que la société avait cédé le fonds à un prix manifestement minoré, caractérisant un acte anormal de gestion. Elle a assorti le redressement de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.
En cours de procédure, l’Administration a finalement accepté de revoir à la baisse l’estimation de la valeur vénale du fonds de commerce et a ramené son évaluation à environ 5 fois le prix de cession d’origine.
La décision de la CAA de Douai
Sur la méthode d’évaluation de la valeur vénale du fonds de commerce
Devant la Cour, la société faisait grief à l’Administration d’avoir fondé son évaluation en procédant par comparaison avec des transactions récentes portant sur des fonds de commerce comparables, en refusant de tenir compte de la 2nde cession du fonds de commerce intervenue le jour même.
L’Administration tentait de faire valoir, en défense, qu’une telle revente d’un fonds de commerce acquis le jour même ne pouvait être regardée comme constituant une pratique normale de la profession de la restauration.
La CAA juge que ce seul argument ne permet pas d’établir que le prix fixé pour cette revente ne résulterait pas du jeu normal de l’offre et de la demande – d’autant que l’Administration n’apportait pas d’éléments de nature à établir que cette cession aurait également été réalisée à prix minoré.
La Cour admet donc de retenir le prix de la 2e cession (au triple du prix de la cession d’origine du même jour) comme représentatif de la valeur vénale du fonds au jour de la cession litigieuse (notons que ce montant correspond, de surcroît, à l’estimation proposée par la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d’affaires, consultée à la demande de la requérante, et dont l’avis n’avait pas été suivi par l’Administration).
Pour autant, si cette réévaluation a pour effet de réduire le rehaussement, elle ne remet pas en cause la qualification de cession à prix minorée, l’écart entre la valeur vénale ainsi retenue et le prix de cession demeurant significatif (triple du prix de cession d’origine).
Sur l’absence de contrepartie pour la société cédante
La société tentait de faire valoir que l’appauvrissement résultant de cette cession à prix minoré avait toutefois été décidé dans son intérêt, en soutenant que :
- La décision de céder le fonds de commerce litigieux avait été commandée par une baisse constante de ses résultats et de son EBE depuis plusieurs années, et par la volonté d’éviter de se trouver confrontée à des difficultés économiques plus graves ;
- Le prix de cession résultait d’une négociation avec l’acquéreur (qui n’est pas un professionnel de la restauration, mais un marchand de biens) avec lequel elle n’entretient aucun lien, ni ne possède d’intérêts communs ;
- Elle a tenté, à plusieurs reprises, de céder son fonds de commerce à un prix proche de celui de la 2e cession, en vain, à cause de l’importance du loyer, de la masse salariale et de la faible rentabilité de celui-ci.
La Cour juge toutefois que la société n’apportait pas de pièces ou d’éléments permettant d’établir de manière satisfaisante ces différentes allégations.
Elle confirme donc le redressement – ainsi que l’application de la majoration de 40 % pour manquement délibéré, la société ne pouvait ignorer que le prix de cession était notablement inférieur à la valeur vénale du bien, ni qu’elle agissait ainsi au détriment de l’intérêt de son entreprise, tout en minorant de manière significative son imposition.