Cession de titres à prix minoré : Appréciation de l’existence d’un écart significatif entre le prix de vente et la valeur vénale des titres

Rappel

On sait que, lorsque l’Administration établit que la cession d’un élément d’actif a été réalisée à un prix manifestement minoré (existence d’un « écart significatif » entre le prix de vente et la valeur vénale), l’intention libérale est présumée. C’est alors au contribuable de justifier que l’appauvrissement en résultant a été effectué dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie (21 décembre n°402006, Sté Croë Suisse, rapidement confirmée à plusieurs reprises, notamment CE, 6 février 2019, n°410248, SARL Alternance et 15 février 2019, n°407531, SARL Hulia).

L’histoire

Au cours de l’exercice 2010, une société a vendu à une de ses filiales les titres d’une société non cotée.

L’Administration a considéré que les titres avaient été cédés à un prix sensiblement inférieur à leur valeur réelle, et que l’écart entre le prix de vente et le prix rectifié était, par suite, constitutif d’une libéralité.

La décision des juges du fond

La CAA de Versailles a rappelé, de manière classique, que la valeur vénale des actions non admises à la négociation sur un marché réglementé doit être appréciée compte-tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession ou l’apport est intervenu.

Cette valeur doit être établie prioritairement par comparaison avec des transactions contemporaines portant sur des titres de la société ou de sociétés similaires ; à défaut d’existence d’un tel comparable, l’Administration peut se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes (notamment CE, 21 octobre 2016, n°390421).

Au cas d’espèce, l’Administration avait choisi de recourir à la méthode d’évaluation mathématique ou patrimoniale, l’actif de la société en cause étant majoritairement composé d’un portefeuille de placements de trésorerie, et non à une comparaison avec ce qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et la demande sur le marché, en justifiant ce choix par le fait que la société dont les titres ont été cédés était en cessation programmée d’activité.

La société requérante considérait, elle, que l’Administration aurait dû procéder à une combinaison de méthode, en se fondant notamment sur la méthode dite de productivité, afin de tenir compte de la rentabilité de la société dont les titres ont été cédés, et en incluant un coefficient de risque lié à l’entreprise, prenant en compte le risque interne d’exploitation et le risque externe lié à la concurrence et à la technologie. Elle faisait aussi état de la nécessité de prendre en compte des facteurs de décote pour risques, pour fiscalité latente ou pour absence de liquidité.

Considérant que la société requérante n’apportait pas suffisamment d’éléments justificatifs à l’appui de ses prétentions, la CAA de Versailles a validé la méthode de reconstitution de la valeur vénale retenue par l’Administration.

En revanche, elle a considéré que l’écart entre le prix de cession et la valeur vénale telle que reconstituée par l’Administration, qui s’élevait à 14,1 %, n’apparaissait pas comme étant significatif (et n’était donc pas susceptible de constituer une libéralité) dès lors que « toute évaluation de titres non cotés en bourse comporte un aléa, tenant au choix de la ou des méthodes d’évaluation prises en compte et aux multiples correctifs qu’il est possible de retenir ».

On rappelle, à cet égard, que le juge de l’impôt considère, en règle générale qu’un écart significatif est un écart avoisinant au moins les 20 % (CE, 3 juillet 2009, n°301299 ou encore CE, 31 mars 2010, n°297307).

La décision du Conseil d’État

Sans se prononcer sur le fond du litige, le Conseil d’État annule la décision de la CAA de Versailles pour contradiction de motifs.

Il considère que les juges du fond ne pouvaient, dans le même temps, valider la méthode d’évaluation mathématique retenue par l’Administration et écarter tous les facteurs de décote dont se prévalait la requérante, et considérer que l’écart de 14,1 % était insuffisant compte-tenu de l’aléa inhérent à toute évaluation de titres non cotés en bourse.

On attendra avec intérêt la décision de la juridiction de renvoi.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.