Les agences de voyages et les tour-opérateurs qui commercialisent en leur nom propre des voyages sont soumis à des règles spécifiques en matière de TVA, incluant notamment un mode de détermination de l’assiette imposable sur la seule marge, celle-ci étant la différence entre d’une part le prix facturé au client et, d’autre part, le prix TTC des prestations acquises pour la composition du voyage.
En pratique, la base imposable ne peut être définitivement déterminée qu’au moment où l’agence de voyage a connaissance, pour un voyage donné, de l’ensemble des éléments à retenir aux deux termes de cette différence. Or, la saisonnalité de l’activité des agences de voyages entraîne un important décalage entre le moment où les acomptes sont perçus (avant le début de chaque saison lors des réservations) et celui où les agences reçoivent les factures des hôtels et compagnies aériennes (durant la haute saison et l’après saison).
Les conclusions de l’Avocat général soulèvent l’épineuse question de savoir à quel moment la TVA sur marge est exigible. En l’espèce, la société Skarpa Travel, agence de voyages polonaise, s’était affranchie du paiement de la TVA au moment de l’encaissement des acomptes, et avait repoussé la collecte de la TVA à la date à laquelle la marge était définitivement connue (c’est-à-dire à l’issue de la saison touristique). Ce faisant l’agent de voyages polonais n’observait pas la règle d’exigibilité de principe en matière de services, à savoir le versement de la TVA aux administrations dès réception des encaissements.
La question ainsi posée à la Cour est assez simple : dans le cadre du régime spécial de TVA sur marge, doit-on se référer à cette règle d’exigibilité de droit commun (au moment de l’encaissement des acomptes), ou bien peut-on se référer à une règle dérogatoire qui tiendrait compte des modalités spécifiques de base d’imposition (la TVA étant due sur la marge) ?
Pour la Commission européenne, l’issue semble claire : faute de règle d’exigibilité spécifique prévue par le législateur européen, seule la date de l’encaissement des acomptes peut être retenue. Néanmoins, les conséquences pratiques d’une telle position seraient très pénalisantes pour les opérateurs : s’il est jugé que ceux-ci doivent verser la TVA dès la perception des acomptes reçus des clients, cela les obligerait à collecter la TVA dans un premier temps sur le prix de vente total, et non sur la marge, ce qui représenterait pour eux un coût de trésorerie très significatif. Par la suite, les opérateurs devraient théoriquement être autorisés à régulariser la TVA initialement collectée au fur et à mesure de la réception des factures fournisseurs, entraînant une surcharge significative de retraitement, ainsi que d’éventuelles demandes d’information à honorer avant remboursement. A noter que cette procédure de « régularisation » ne fait l’objet d’aucun commentaire à ce jour, au moins dans les textes européens et français.
Conscient de cet enjeu, l’Avocat général a retenu dans ses conclusions une position plus nuancée : certes il préconise l’application de la règle d’exigibilité à l’encaissement, mais il propose, afin de ne pas totalement mettre à mal le principe de l’imposition sur la marge, de retenir au deuxième terme du calcul un taux de marge théorique, déterminé sur la base d’un montant de dépenses prévisionnel. La faiblesse de cette position est précisément qu’elle cadre mal avec la lettre du texte. En effet l’article 308 de la directive TVA stipule que la marge imposable se détermine en imputant le « coût effectif » des prestations achetées sur le prix payé par le client. Ces termes paraissent exclure toute idée de coûts « prévus » ou « budgétés ».
Nous attendrons avec impatience l’arrêt de la Cour afin de mesurer les conséquences de l’option retenue pour les opérateurs.