Concurrence : première révision par la Commission européenne de sa communication relative à la définition du marché pertinent

Dans un communiqué de presse publié le 8 février 2024, l’Autorité de la concurrence française s’est félicitée de l’adoption par la Commission européenne de cette communication révisée relative à la définition du marché pertinent. L’Autorité de la concurrence considère que la communication révisée « offre davantage d’orientations et de transparence aux entreprises, tout en assurant une meilleure prise en compte des évolutions de l’économie, comme le développement des marchés numériques ».

Adaptation au développement des marchés numériques

En 1997, la Commission européenne adoptait des orientations sur la manière dont elle appliquerait la notion de marché pertinent, appelé également « marché en cause », dans la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union européenne (communication 97/C 372/03).

Le 8 novembre 2022, afin de répondre aux défis posés par la digitalisation de l’économie (transitions structurelles liées notamment à des changements technologiques et réglementaires du marché du numérique susceptibles d’affecter la dynamique concurrentielle existante) et l’accroissement du pouvoir de marché de certaines grandes entreprises du numérique, la Commission a publié un projet de communication révisée sur la définition du marché pertinent et a initié une consultation publique pour recueillir les observations des parties prenantes.

La nouvelle communication a été adoptée après cette consultation publique le 8 février 2024, et publiée officiellement le 22 février 2024 (Communication révisée C/2024/1645, Commission européenne, 22 février 2024).

Celle-ci fournit des orientations élargies et actualisées sur l’approche adoptée par la Commission en matière de définition du marché pertinent, s’adaptant ainsi aux nouvelles réalités du marché.

L’importance de la définition du marché pertinent

La définition du marché pertinent est une étape primordiale car elle « permet à la Commission d’identifier et de délimiter le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre les entreprises. La définition du marché vise principalement à identifier de manière systématique les contraintes concurrentielles effectives et immédiates auxquelles sont confrontées les entreprises concernées lorsqu’elles proposent des produits donnés sur un territoire donné. La définition du marché permet d’identifier les concurrents concernés de l’entreprise ou des entreprises en question lorsqu’elles proposent ces produits ainsi que les clients concernés. Seuls les produits qui exercent des contraintes concurrentielles effectives et immédiates au cours de la période considérée font partie du même marché en cause que ceux de la ou des entreprises concernées, tandis que d’autres contraintes moins effectives, ou simplement potentielles, sont considérées comme faisant partie de l’appréciation concurrentielle. » (Communication révisée  C/2024/1645, §6, Commission européenne, 22 février 2024).

Sur son site internet, la Commission précise que « cette définition a également une influence sur d’autres aspects de fond et de procédure du droit de la concurrence de l’UE. Par exemple, sur le fond, la définition des marchés est nécessaire afin d’établir un seuil de parts de marché sous lequel certains accords entre entreprises peuvent bénéficier d’une exemption des règles de concurrence. En ce qui concerne la procédure, les parts de marché peuvent être utilisées afin de déterminer si une concentration donnée bénéficie d’une procédure simplifiée »

Les apports de la Communication révisée

La Communication révisée apporte de nouvelles précisions principalement en matière de paramètres de concurrence, de canaux de distribution, de spécificité des marchés et de calcul des marchés.

Paramètres de concurrence

La prise en compte des paramètres de concurrence, autres que le prix, gagnent en importance. Ces paramètres sont, par exemple, le degré d’innovation, la fiabilité de l’approvisionnement ou encore la durabilité, ainsi que tout autre paramètre à même d’orienter les choix des clients (Communication révisée, §15).

Canaux de distribution

Les différences entre les divers canaux de distribution comprenant les canaux en ligne et hors ligne afin de définir le marché de produits pertinent sont également mieux pris en compte. (Communication révisée, §50).

Spécificités des marchés

La Communication révisée s’intéresse également aux spécificités des marchés et aux écosystèmes numériques tels que les plateformes multifaces.

La Commission envisage notamment des alternatives au test du monopoleur hypothétique (communément appelé « test SSNIP », pour Small but Significant Non-transitory Increase in Price) basé sur le prix dont l’application est susceptible d’être rendue plus difficile en cas de plateformes multifaces en raison de la présence d’effets de réseau indirects. Cet outil classique d’analyse, utilisé par la Commission, consiste à déterminer le plus petit groupe de biens pour lequel une hausse de prix légère, mais significative (généralement de 5 à 10 %) et non transitoire serait profitable à une entreprise hypothétique qui contrôlerait l’ensemble des biens considérés.

Or, dans l’économie digitale, l’accès à des produits ou services sans contrepartie financière est courant : cette gratuité rend ainsi inopérant cet outil. Dans de tels cas, la Commission souligne que les paramètres autres que les prix sont particulièrement pertinents. Au lieu de recourir au test SSNIP, la Commission pourrait donc recourir au « test SSNDQ » (pour Small but Significant and Non-transitory Decrease of Quality) afin de mener une appréciation qualitative de la substitution de la demande (Communication révisée, §94).

Par ailleurs, la Commission renforce également la prise en compte des spécificités des marchés à forte innovation en prenant en considération, dans le cadre de la définition du marché pertinent, les résultats potentiels des processus R&D, dont l’issue est souvent incertaine (Communication révisée, §90).

Calcul des parts de marché

Enfin, des précisions sont également apportées sur le calcul des parts de marché en prenant en compte d’autres paramètres mesurables complémentaires tels que le nombre d’utilisateurs ou de visites sur le site internet, le nombre de téléchargements, le volume ou la valeur des transactions conclus sur les plateformes en particulier lorsque l’accès aux produits est fourni à titre gratuit, etc. (Communication révisée, §108).

En conclusion, si la Commission européenne n’a pas changé en substance sa méthodologie pour définir le marché pertinent dans la mise en œuvre du droit de la concurrence européen, elle l’a toutefois adaptée aux évolutions du marché tout particulièrement dans le secteur du numérique.

Benjamin Balensi

Benjamin Balensi, Avocat Associé, exerce son activité au sein de l’équipe droit des affaires. Il conseille les sociétés françaises et les groupes internationaux dans le cadre du développement de leur […]

Gisèle-Aimée  Milandou

Gisèle est avocate en droit des affaires. Elle a travaillé 2 ans comme juriste au sein du Groupe BNP PARIBAS avant de rejoindre Deloitte Legal en 2019. Elle intervient principalement […]

Justine Pautrat

Justine est stagiaire au département de Droit Commercial