La CAA de Bordeaux apporte des précisions sur les modalités de justification et de calcul d’une provision pour dépréciation d’un fonds de commerce (cas d’une baisse du chiffre d’affaires).
Rappel
Au plan fiscal, les immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment le fonds de commerce, peuvent donner lieu à la constitution de provisions en cas de dépréciation (CGI ann. III, art. 38 sexies).
La provision pour dépréciation n’est déductible que dans l’hypothèse où une dépréciation du fonds de commerce est établie et qu’elle concerne l’ensemble du fonds, et non pas seulement certains de ses éléments.
À cet égard, le Conseil d’État a jugé qu’une baisse importante du chiffre d’affaires et du bénéfice, ayant entraîné une dépréciation effective du fonds de commerce, peut justifier la constitution d’une provision (CE, 27 décembre 1937, n°56712, solution reprise au BOFiP, BOI-BIC-PROV-40-10-10, n°110, en date du 8 juin 2022).
Comptablement, il résulte de l’article 214-6 du PCG que la passation de l’écriture comptable correspondant à la dépréciation d’un élément d’actif est subordonnée à la condition que la valeur actuelle de cet élément d’actif -la plus élevée entre la valeur vénale et la valeur d’usage- soit devenue notablement inférieure à sa valeur nette comptable (VNC).
Selon le PCG, la valeur d’usage correspond à l’estimation des avantages économiques futurs attendus de l’utilisation de l’actif et de sa sortie, c’est-à-dire à la valeur actualisée des flux nets de trésorerie attendus de l’actif.
Histoire
En 2010, une société est constituée en vue d’exploiter une pharmacie. Elle acquiert, à cet effet, le fonds de commerce d’une 1re pharmacie (comprenant très majoritairement des éléments incorporels), et 40 % des éléments incorporels du fonds de commerce d’une seconde pharmacie.
Elle inscrit ces éléments incorporels à l’actif de son bilan.
A compter de 2013, elle constate une baisse de son chiffre d’affaires par rapport au chiffre d’affaires de l’exercice 2008/2009, utilisé pour l’évaluation du fonds de commerce lors de son acquisition, qu’elle estime être l’exercice de référence.
Elle constate alors cette dépréciation par la comptabilisation de provisions au titre des exercices 2013 à 2016.
A l’issue d’un examen de comptabilité portant sur les exercices 2015 et 2016, l’Administration remet en cause la déduction de ces provisions.
La décision de la CAA de Bordeaux
Sur la justification de la dépréciation du fonds de commerce
La CAA rappelle d’abord que la constatation d’une dépréciation de la valeur d’un fonds de commerce suppose de comparer la valeur de ce fonds à la clôture de l’exercice au titre duquel est constatée la provision (valeur actuelle), avec la VNC, laquelle correspond à la valeur d’acquisition du fonds, diminuée le cas échéant des dépréciations déjà constatées.
Si la société soutenait que la comparaison devait se faire avec la valeur d’acquisition déterminée, en 2010, à partir du chiffre d’affaires et du résultat net constatés par les 2 officines de pharmacie à la clôture de l’exercice précédent (2008/2009), l’Administration soutenait, elle, qu’il convenait de retenir le chiffre d’affaires réalisé au titre du 1er exercice d’exploitation par l’acquéreuse (2011).
La Cour tranche en faveur de la requérante.
Elle constate ensuite qu’en procédant à cette comparaison, il en résulte une baisse avérée du chiffre d’affaires au titre des exercices litigieux, oscillant entre 11 % et 16 % selon les années. Si elle prend le soin de préciser que ces baisses du chiffre d’affaires ne sont pas, à elles seules, suffisantes pour constater une dépréciation du fonds de commerce, elle relève qu’après neutralisation des provisions litigieuses, on constate une baisse du résultat net, par rapport à l’exercice de référence, compris entre 29 % et 36 % selon les années.
L’Administration n’apportant aucun élément de nature à établir que cette baisse serait imputable à une circonstance sans lien avec la valeur d’usage du fonds de commerce, la Cour en conclut que la requérante justifie bien de l’existence d’une baisse notable de la valeur d’usage du fonds par rapport à sa VNC.
Sur le montant de la provision
Pour déterminer le montant des provisions litigieuses, la société a procédé à l’évaluation du fonds de commerce à la clôture de chacun des exercices, en retenant un pourcentage du chiffre d’affaires déclaré au titre de chacun des exercices, selon une méthode fréquente dans le secteur des officines de pharmacie. Les pourcentages retenus étaient extraits des études annuelles de la société Interfimo (organisme financier dédié aux professionnels libéraux) relatives aux « prix et valeurs des pharmacies » – données qui avaient également été utilisées pour évaluer le prix d’acquisition du fonds de commerce en 2010.
La Cour indique que si un contribuable ne peut justifier de la dépréciation d’un fonds de commerce en recourant à des statistiques ou des données d’ordre général, rien ne lui interdit, en revanche, de s’y référer pour le calcul du montant de la provision.
Enfin, elle écarte l’argument soulevé par l’Administration, tenant à la nécessité de prendre en compte l’excédent brut d’exploitation pour le calcul des provisions, cette donnée n’ayant pas été retenue pour l’évaluation de la valeur d’acquisition.