Conditions de justifications des intérêts financiers : le Conseil d’Etat apporte des précisions

En fin d’année dernière, le Conseil d’Etat est venu préciser sa position à l’égard des éléments à apporter en vue de justifier du prix de marché d’un taux d’intérêt sur prêt financier intragroupe. Par deux arrêts des 10 et 11 décembre 2020, il a confirmé la possibilité de recourir au marché obligataire en tant que comparable et il a admis les outils utilisés par les professionnels du secteur financier en tant qu’aide à la prise en compte du prix de marché. Ces positions sont utiles alors que la DGFiP vient de faire preuve d’ouverture par la publication le 27 janvier 2021 d’un jeu de fiches précisant son approche dans ce domaine des emprunts auprès des entreprises liées, après des travaux de concertation avec les entreprises du MEDEF.

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Focus sur l’arrêt Ambassador

Dans sa première décision, du 10 décembre 2020, WB Ambassador, n° 428522 (Section du contentieux, 9e chambre), le Conseil d’Etat a considéré que la Cour administrative d’appel de Paris avait commis une erreur de droit en rejetant la possibilité pour une société de se prévaloir du rendement des émissions obligataires (par un arrêt rendu le 31 décembre 2018 il est vrai, soit avant que soit rendu l’avis de juillet 2019).

Focus sur l’arrêt BSA

Dans sa deuxième décision, du 11 décembre 2020, BSA, n° 433723 (8e – 3e chambres réunies ; publiée au Recueil Lebon), il a affirmé que la Cour administrative d’appel de Versailles avait dénaturé les pièces du dossier présenté par la société en écartant (a) les informations issues de l’application Riskcalc (qui permettait d’évaluer le niveau de risques de la société BSA pour en déduire le taux à retenir au titre du prêt objet des discussions avec le service de vérification) et (b) les chiffres émanant de la société Bloomberg (pour présenter les taux comparables sur le marché compte tenu de ce profil de risques).

Quelle analyse tirer ?

Le premier arrêt est très court (WB Ambassador), il souligne la différence de nature entre un emprunt auprès d’un tiers financier et un financement par émission obligataire. Il indique sans détour que le taux d’intérêt que l’entreprise aurait ainsi été en mesure d’obtenir n’est pas celui qu’elle aurait servi à des souscripteurs si elle avait fait le choix de procéder à une émission obligataire plutôt que de souscrire un prêt.

En revanche, le Conseil d’Etat maintient que, dans le cadre de la preuve que la société peut apporter par tout moyen, cette dernière peut tenir compte du rendement des emprunts obligataires.

Des conditions accompagnent cette possibilité, même s’il est encore difficile d’en mesurer la portée, puisqu’aux termes de l’arrêt, la société qui se prévaut de ces informations doit en effet montrer que :

  • ces emprunts obligataires émanent d’entreprises se trouvant dans des conditions économiques comparables 
  • ces emprunts obligataires constituent une alternative réaliste à un prêt intragroupe

Le Conseil d’Etat considère donc que, faute de s’être livrée à cette analyse, le juge d’appel a commis une erreur de droit en excluant que la société puisse utiliser ce taux de rendement des émissions obligataires.

Cette critique de l’absence d’analyse, semble bien être l’approche également retenue par le Conseil d’Etat dans ce deuxième arrêt (BSA), plus développé, même s’il porte sur l’appréciation d’autres éléments d’évaluation de la conformité du taux d’intérêt intragroupe au prix du marché, tel que ce taux aurait été consenti par un établissement ou un organisme financier tiers.

La société BSA a distingué, sans que ce fractionnement de ces différents éléments entrant dans la composition du taux ne soit contesté par le service de vérification ou le juge d’appel, le taux de swap permettant de transformer le taux variable en taux fixe, le taux de la prime d’annulation et la marge de crédit. Cette approche ne semble pas rebuter le Conseil d’Etat qui s’en accommode et examine avec soin la manière dont la société a justifié que chacun d’eux était inférieur ou égal au taux de pleine de concurrence sur le marché libre.

Or, ce dernier constate que la Cour administrative d’appel a écarté certains éléments apportés par la société sans en expliquer la raison :

  • les éléments d’informations tirés de la base Bloomberg, pour donner la base des taux du marché sur lesquels les autres éléments étaient agrégés, sont rejetés sans que la Cour ait précisé les motifs l’ayant conduit à les juger insuffisants 
  • les informations issues du logiciel Riskcalc développé par l’agence de notation Moody’s, qui permettaient de déterminer le profil de risques de la société emprunteuse, sont exclues sans explication alors que cette base de données s’appuie sur des éléments et des précisions dont l’examen permet de s’assurer de leur comparabilité avec le prêt dont le taux était contesté

Le Conseil d’Etat relève que les informations partagées par la société étaient de nature à justifier que les éléments composant le taux intragroupe étaient bien conformes aux pratiques de marché « en l’absence d’élément contraire. Il retient à l’issu de son analyse que, faute de s’être livrée à cette critique détaillée des éléments qui lui étaient présentés, la Cour administrative d’appel a dénaturé les pièces soumises à son appréciation.

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Eric Lesprit

Eric a plus de 25 ans d’expérience en matière de fiscalité internationale, notamment en matière de prix de transfert. Il a exercé différentes responsabilités au sein de la Direction Générale […]

Benjamin Conort

Benjamin Conort est Senior manager au sein de l’équipe Prix de Transfert de Deloitte Société d’Avocats. Benjamin est, entre autres, spécialisé dans l’analyse des transactions financières. Ses compétences recouvrent la […]