Contrariété de la « branch tax » à la liberté d’établissement (pré-LF 2020)

La CAA de Paris juge que les dispositions de l’article 115 quinquies (dans leur rédaction antérieure à la loi de finances pour 2020) peuvent être contestées sur le terrain de la décision Cofinimmo rendue par le Conseil d’Etat en 2019.

Rappel

On sait que les bénéfices réalisés en France par l’établissement stable d’une société étrangère sont réputés distribués, au titre de chaque exercice, aux associés n’ayant pas leur domicile fiscal ou leur siège social en France et soumis à ce titre à une retenue à la source (« branch tax », CGI, art. 115 quinquies).

Cette retenue à la source est prélevée au taux de 12,8 % (bénéficiaires personnes physiques), 25 % (bénéficiaires personnes morales) ou 75 % (ETNC), sous réserve des réductions qui peuvent être prévues par les conventions fiscales le cas échéant.

L’application de cette retenue à la source peut être écartée, soit parce que la société étrangère a son siège dans un Etat de l’UE ou de l’EEE, soit parce que la convention fiscale applicable s’y oppose (étant précisé que les conventions fiscales conformes au modèle OCDE comportent une disposition générale interdisant l’application d’une branch tax).

Lorsqu’elle est applicable, cette retenue à la source est assise sur le montant des bénéfices fiscaux réalisés en France, c’est-à-dire le montant total des résultats imposables ou exonérés minorés de l’impôt sur les sociétés acquitté.

La société étrangère peut toutefois atténuer les effets de cette présomption de distribution en demandant une nouvelle liquidation de la retenue à la source dans 2 hypothèses :

  • si les sommes sur lesquelles elle a été appliquée excèdent le montant total des distributions effectives ; ou
  • si la société justifie que les revenus ont été distribués à des personnes résidentes de France.

La LF 2020 a, en outre, ménagé la faculté pour les sociétés européennes de demander une révision de la branch tax, si elles sont en mesure de prouver que les sommes sur lesquelles la retenue à la source a été appliquée n’ont pas été désinvesties hors de France.

Cet aménagement visait à tirer les conséquences de la décision « Société Cofinimmo » du Conseil d’Etat, dans le cadre de laquelle il avait été jugé que les dispositions de l’article 115 quinquies du CGI, dans leur rédaction alors en vigueur, étaient contraires à la liberté d’établissement, en ce qu’elles posaient une présomption irréfragable selon laquelle une société non-résidente qui a réalisé des bénéfices en France et procède à des distributions à ses associés non-résidents distribue prioritairement ses bénéfices de source française (10 juillet 2019, n°412581).

L’histoire

Une société immobilière belge disposait en France d’une succursale exonérée d’IS en application du régime des SIIC. Etant elle-même exonérée d’impôt en Belgique, elle ne pouvait bénéficier de l’exonération de la branch tax prévue en faveur des sociétés européennes.

Elle a donc acquitté la branch tax au titre des exercices 2014 à 2019, au taux de 10 % (par application combinée de l’article 115 quinquies du CGI et de l’article 17,8 de la convention franco-belge), avant d’en demander la restitution, en invoquant la contrariété du régime au droit de l’Union européenne.

La décision de la CAA de Paris

La CAA de Paris écarte d’abord les premiers éléments invoqués par la société, qui arguait qu’elle avait été assujettie à un impôt sur les sociétés discriminatoire, en contrariété avec la liberté d’établissement.

Elle tentait ainsi de faire valoir que la branch tax de l’article 115 quinquies du CGI était, en réalité, un impôt frappant les bénéfices qu’elle a réalisés en France par l’intermédiaire de son établissement stable parisien, imposition à laquelle n’aurait, selon elle, pas été assujettie une SIIC française bénéficiant soit du régime mère-fille, soit de l’exonération spécifique prévue par l’article 208 C du CGI.

La Cour écarte l’argument, en se fondant sur la nature même de la branch tax. Elle souligne, à cet égard, que son fait générateur ne trouve pas sa source dans les bénéfices réalisés par l’établissement stable, mais dans leur distribution présumée à des associés non-résidents.

En revanche, elle rappelle que dans sa décision Cofinimmo de 2019 précitée, le Conseil d’Etat a mis en évidence la contrariété partielle au droit de l’UE de la branch tax dans sa rédaction alors applicable, en en ce qu’elle posait une présomption irréfragable selon laquelle une société non-résidente qui a réalisé des bénéfices en France et procède à des distributions à ses associés non-résidents distribue prioritairement ses bénéfices de source française.

Elle juge que même si le législateur n’est venu amender que postérieurement ce régime, la société était fondée à se prévaloir, à titre contentieux, de cette décision Cofinimmo, revêtue de l’autorité de la chose jugée, pour réclamer la restitution de la branch tax acquittée, à charge pour elle d’établir qu’au titre des années en litige, les bénéfices de son établissement stable sont restés investis en France.

Elle précise, à cet égard, qu’une telle démonstration ne saurait être regardée comme « une preuve impossible ».

En tout état de cause, la société ne démontrait, ni même n’alléguait, que les bénéfices de son établissement stable étaient restés investis en France, de sorte qu’il ne lui était pas possible de bénéficier d’une restitution du prélèvement contesté.

  • CAA Paris, 8 novembre 2023 n°22PA01755
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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.