Convention fiscale et notion de résidence : Cas d’une exonération temporaire et partielle

Le Conseil d’État juge qu’une société bénéficiant d’une exonération temporaire et partielle d’impôt sur les sociétés doit être considérée comme résidente au sens conventionnel.

Le principe : Exonération vaut non-résidence

On sait que seuls les résidents d’un des États signataires peuvent revendiquer les avantages prévus par une convention fiscale.

La grande majorité des conventions conclues par la France prévoient, conformément en cela à la convention modèle OCDE, qu’il convient d’entendre par résident d’un État contractant « toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l’impôt dans cet État… ».

Il y a quelques années déjà, le Conseil d’État a jugé que tel n’est pas le cas des personnes exonérées d’impôt dans leur État d’établissement à raison de leur statut ou de leur activité, c’est-à-dire qui, de façon structurelle, ne peuvent être regardées comme assujettis à cet impôt au sens conventionnel (CE, 9 novembre 2015, n°370054 LHV et n°371132 Santander Pensiones).

Ce principe a ensuite été confirmé dans le cas d’une société libanaise exonérée de l’imposition de droit commun sur ses bénéfices, mais soumise à une imposition forfaitaire annuelle modique (CE, 20 mai 2016, n°389994, Société EasyVista).

L’histoire

Une société française a versé à une société de droit tunisien des rémunérations en contrepartie de prestations de service. L’Administration a considéré que ces rémunérations devaient être soumises à la retenue à la source prévue à l’article 182 B du CGI, tandis que la société française se prévalait des stipulations de l’article 11 de la convention franco-tunisienne attribuant à la Tunisie le droit exclusif d’imposer les rémunérations litigieuses.

Le débat s’est cristallisé autour de la question de savoir si la société tunisienne pouvait ou non être considérée comme résidente de Tunisie pour l’application de la convention. En effet, celle-ci bénéficiait d’un régime spécifique, prévu par le droit tunisien, dit « régime totalement exportateur », prévoyant une déduction de la totalité des bénéfices provenant de l’exportation de l’assiette de l’IS durant les 10 années suivant la 1re opération d’exportation.

Pour l’Administration, confortée en cela par les juges de 1re instance, ce mécanisme d’exonération temporaire faisait obstacle à ce que la société tunisienne soit regardée comme assujettie à l’impôt en Tunisie, et résidente de cet État pour l’application de la convention franco-tunisienne.

On rappellera, à cet égard, que par une décision devenue définitive, le TA de Poitiers avait retenu une solution identique, il y a quelques années déjà, s’agissant d’une société tunisienne bénéficiant du même régime (décision du 5 février 2015, n°120893, SARL Indigo Yacht ; RJF 5/15 n°392).

La décision favorable de la CAA de Paris

La CAA de Paris a toutefois retenu une analyse différente (CAA Paris, 30 juin 2020, n°18PA02724).

Elle a relevé que cette exonération d’impôt sur les sociétés ne portait pas sur la totalité des bénéfices, mais seulement sur les bénéfices provenant de l’exportation.

Elle a ensuite considéré qu’était sans incidence à cet égard la circonstance qu’en l’espèce, la société tunisienne ne réalisait pas de chiffre d’affaires sur le marché local et se trouvait donc, en pratique, totalement exonérée d’impôt sur les sociétés.

Une confirmation bienvenue par le Conseil d’État

Le Conseil d’État conforte en tous points la décision des juges d’appel.

Il juge à son tour que, dès lors que l’exonération ne portait que sur les bénéfices provenant de l’exportation, mais non de ceux susceptibles de provenir d’une activité exercée en Tunisie, la société devait être regardée comme « soumise à l’impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de son activité », peu important qu’elle n’ait pas réalisé de chiffre d’affaire sur le marché local et donc pas effectivement acquitté d’impôt.

Cette décision va au-delà de la distinction tracée jusqu’à présent par le juge de l’impôt et la doctrine entre exonération « structurelle » (exonération liée au statut ou à la nature de l’activité – par exemple, exonération d’organismes de retraite ou de fonds de pension étrangers, cf. décisions LVH et Santander Pensiones précitées) et exonération « conjoncturelle » (non‑imposition pour des raisons purement conjoncturelles telles qu’un déficit – TA Montreuil, 18 avril 2017 n°1502977 – ou une imputation de pertes reportables – CAA Versailles 12 mars 2019 n°17VE01940, Sté Performing Right Society).

Il convient de garder à l’esprit que cette décision ne concerne que l’hypothèse d’une exonération temporaire et partielle (même si le Conseil d’État ne fait pas mention, dans sa décision, du caractère temporaire de l’exonération).

La solution méritera donc d’être confirmée en cas d’exonération partielle, comme en cas d’exonération temporaire.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.