Covid-19 : Appréciation in concreto de la force majeure par le juge face au risque de contagion

La Cour d’appel de Colmar par une ordonnance du 12 mars dernier1 a retenu que l’impossibilité de se rendre à l’audience pour l’appelant susceptible d’avoir été contaminé constituait un cas de force majeure autorisant la tenue de l’audience en son absence physique, et seulement représenté par son avocat.

Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une demande d’appel contre une ordonnance du juge des libertés et la détention (JLD) déclarant recevable la requête du Préfet du Bas-Rhin ordonnant la prolongation de la rétention administrative de l’appelant. L’appelant a été en contact avec des personnes susceptibles d’avoir été contaminées (une autre personne retenue dans le même centre de rétention administrative et le personnel associatif l’ayant aidé à rédiger l’acte d’appel). Par conséquent, susceptible d’avoir été lui-même contaminé, il ne pouvait pas être présenté à l’audience, le juge devant statuer dans un délai très court, 48h à compter de la demande en appel.

C’est dans ces circonstances exceptionnelles que la Cour a retenu la qualification de force majeure de l’impossibilité de l’appelant d’être présent à l’audience en rappelant ses 3 critères constitutifs (voir notre article précédent sur le sujet) : « les circonstances exceptionnelles, entraînant l’absence de [l’appelant] à l’audience revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles. »

La Cour a particulièrement motivé le caractère irrésistible du risque de contagion au vu du délai imposé pour statuer en soulignant l’absence d’escorte autorisée à conduire l’appelant à l’audience et l’absence de matériel au sein du centre de rétention administrative permettant la tenue d’une audience par visio-conférence. L’absence de présence de l’appelant constituait un cas de force majeure parce que, précisément, il ne pouvait se déplacer en raison des mesures sanitaires en cours de déploiement et aucun recours à une audience audiovisuelle satisfaisant aux exigences légales n’était envisageable.

Cette décision montre parfaitement l’appréciation au cas par cas opérée souverainement par le juge après avoir vérifié la réunion des 3 critères constitutifs de la force majeure : l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité du fait invoqué.

Il faut ensuite que ce fait irrésistible empêche l’accomplissement de la formalité exigée ; le fait irrésistible doit être un obstacle direct à l’exécution de l’obligation (matière contractuelle) ou de la modalité prescrite à peine de nullité, comme en l’espèce.

Depuis cette décision, le gouvernement habilité par la loi d’urgence pour faire face au covid-19 a adapté par ordonnance les règles de procédures civiles et pénales2. Face à la crise sanitaire, et pour permettre le  déroulement des procédures, le juge judiciaire peut décider, durant la période de l’état d’urgence sanitaire, de manière générale de recourir à un procédé de télécommunication audiovisuelle. En outre, les exigences techniques sont conçues avec pragmatisme : l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 précise qu’en « cas d’impossibilité technique ou matérielle de recourir à un tel moyen, le juge peut » dorénavant utiliser tout autre « moyen de communication électronique, y compris téléphonique, permettant de s’assurer » de la qualité de la transmission, de l’identité des personnes et de garantir la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats.

Ce texte assoupli les exigences de L552-12 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile qui exige un moyen de télécommunication audiovisuelle « garantissant la confidentialité ». L’objectif recherché par le gouvernement est parfaitement atteint : faciliter la poursuite et le maintien des activités juridictionnelles. En effet, il n’est plus nécessaire pour un juge, afin de surmonter les obstacles nés de la crise sanitaire, qu’il prenne le détour, potentiellement hasardeux, d’une qualification d’un cas de force majeure pour tenir une audience à distance valablement.


1 CA Colmar, 6e chambre, 12 mars 2020, RG n°20/01098.
2 Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 et ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.

Benjamin Balensi

Benjamin Balensi, Avocat Associé, exerce son activité au sein de l’équipe droit des affaires. Il conseille les sociétés françaises et les groupes internationaux dans le cadre du développement de leur […]

Gisèle-Aimée  Milandou

Gisèle est avocate en droit des affaires. Elle a travaillé 2 ans comme juriste au sein du Groupe BNP PARIBAS avant de rejoindre Deloitte Legal en 2019. Elle intervient principalement […]