Le Conseil d’Etat confirme que même si une opération poursuit un but exclusivement fiscal, elle n’est pas constitutive d’un abus de droit si le résultat obtenu ne modifie, en définitive, pas la charge fiscale de celui qui l’a mise en place.
Une contribuable a souscrit à une augmentation de capital d’une société holding française – dont elle était l’actionnaire unique – en contrepartie de l’apport en nature de parts sociales qu’elle détenait dans sept autres sociétés. Peu de temps après, elle a créé une société holding patrimoniale luxembourgeoise (dont elle était également l’actionnaire unique), à laquelle elle a apporté la totalité des parts détenues dans sa holding française. Elle a ensuite conclu avec cette société luxembourgeoise une convention de crédit.
L’Administration a remis en cause ces opérations sur le terrain de l’abus de droit. Elle a en effet considéré que la création de la société luxembourgeoise, combinée avec la conclusion de la convention de crédit, présentait un caractère artificiel et avait eu pour unique but de permettre à la contribuable d’appréhender les bénéfices de la holding française en franchise d’IR et de prélèvements sociaux. Elle a donc réintégré les sommes prêtées par la société luxembourgeoise sur le fondement du a de l’article 111 du CGI en tant que revenus distribués, en leur appliquant la majoration de 25 % (CGI, art. 158-7), ainsi que la majoration de 80 % pour abus de droit.
Les juges du fond ont confirmé la position de l’Administration, en considérant que la requérante n’établissait pas l’intérêt économique qu’aurait eu la société luxembourgeoise à accorder un prêt à son unique associé.
Statuant au fond, le Conseil d’Etat relève la réalité du prêt, en observant d’abord que la société luxembourgeoise y trouvait bien une contrepartie (la convention de crédit prévoyant la rémunération de la société par le paiement d’intérêts fixés au taux annuel EURIBOR 12 + 0,3 %) et qu’elle avait par ailleurs été remboursée à la date de l’échéance finale, des avances, en capital et en intérêts.
Il juge ensuite qu’à supposer même que la convention de crédit doive être regardée comme ayant été conclue directement avec la société française, à raison de l’interposition artificielle de la holding luxembourgeoise, la contribuable n’aurait pas été imposée en France au titre des sommes qui lui ont été prêtées en application de cette convention, dès lors que des avances octroyées à un associé par une société française dans le cadre d’une convention les liant par des obligations réciproques et prévoyant notamment la rémunération de ce prêt par un taux d’intérêt conforme à ceux du marché ainsi que des modalités précises de remboursement n’auraient pas été imposables sur le fondement de l’article 111-a, du CGI.
Aussi, la circonstance que la société luxembourgeoise aurait été constituée dans un but exclusivement fiscal est sans incidence sur le caractère non imposable des sommes mises à disposition de la contribuable.
Cette solution s’inscrit dans la lignée des décisions Ravot (CE, 9 décembre 1992, n° 71859) et Pharmacie des Chalonges (CE, 5 mars 2007, n° 284457) dans le cadre desquelles le Conseil d’Etat avait jugé qu’une opération ne peut être remise en cause si elle ne modifie pas (ou très peu) la charge fiscale supportée in fine par l’intéressé.
En revanche, il convient de garder à l’esprit que le Conseil d’Etat considère qu’il peut y avoir abus de droit dans l’hypothèse où l’avantage fiscal existant au moment de la mise en place de l’opération aurait disparu par la suite (changement d’une législation fiscale étrangère a posteriori, réduisant substantiellement l’intérêt du montage litigieux, CE, 11 mai 2015, n° 365564, Natixis).