Délais de paiement, amendes administratives : Le Conseil d’Etat réaffirme l’ordre constitutionnel du dispositif juridique

En rejetant un recours contestant la constitutionnalité du régime juridique des délais de paiement inscrit au code de commerce, le Conseil d’Etat (CE) en valide le dispositif législatif (pour l’heure et dans la limite des critiques qui furent formulées). Ce dispositif, sans changements réels au fond, a été remanié par une ordonnance de 2019, dans un souci de simplification. La décision du CE invite à s’interroger sur la réalisation de cet objectif.

Il eut été difficile de prédire que la formalisation de la relation commerciale suscitât un contentieux conséquent. La décision du CE du 9 décembre 2021 en est pourtant bien une nouvelle illustration : le Conseil rejette la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) invoquée par la société demanderesse, motif pris de son absence de nouveauté et de son défaut de caractère sérieux.

Ce sont en effet les deux conditions de fond de ce recours qui consiste à demander à la juridiction de se dessaisir temporairement de l’affaire qui lui est soumise pour que le Conseil constitutionnel puisse vérifier si les dispositions en cause sont conformes ou non à la constitution au moment où elle statue.

Mais cette QPC, au cas d’espèce, ne sera jamais examinée puisque le juge administratif refuse de la transmettre au Conseil constitutionnel.

Le questionnement constitutionnel portait ici sur l’article L441-6 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l’article 123 de la loi du 17 mars 2017 (dite loi Hamon), dont les dispositions sont reprises et réorganisées dans un louable souci de simplification par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. Dit autrement, la décision de rejet de la QPC n’est pas dépourvue d’intérêt concernant le droit actuellement applicable : cela signifie déjà que l’article L441-6 c. com n’est pas susceptibles d’être remis en cause sur le fondement des arguments présentés devant le CE. Pour autant, le droit en vigueur répond-t-il à l’objectif de simplification ?

Un rejet des arguments d’inconstitutionnalité.

Une société (que l’on mettra dans la catégorie des « grandes sociétés »), soutenait que l’alinéa 9 du I et l’alinéa 1er du VI de l’article L441-6 c. com, étaient incompatibles avec les principes constitutionnels de légalité des délits et des peines, de proportionnalité et d’individualisation des peines, de liberté d’entreprendre et enfin des principes d’impartialité et d’égalité devant la loi.

L’ensemble de la demande est rejeté en trois points.

  1. Concernant l’alinéa 1er du VI de l’article L441-6 c. com, le CE relève que, d’une part, il a été « pour le surplus » déclaré conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue sur la loi Hamon de 2014 (décision du 13 mars 2014), et que, d’autre part, le changement des montants des amendes administratives (qui passent de 375 000 euros maximum à 2 millions d’euros en 2016, pour une personne morale), ne constitue pas un changement de circonstances permettant de contester à nouveau la constitutionnalité des dispositions.
    Une telle affirmation hors de tout contexte est sans aucun doute erronée, mais elle est ici contextualisée par le fait que l’objectif annoncé du législateur était de renforcer les sanctions. En outre, on relèvera que les derniers textes (ordonnance de 2019 précitée) ramènent le maximum de la sanction administrative à 375 000 euros (personne morale).
    Quant à la précédente décision du Conseil constitutionnel, de 2014, elle avait précisément censuré comme non conformes au principe d’égalité devant la loi, les dispositions qui prévoyaient une sanction administrative ou une sanction pénale, les deux procédures, distinctes, faisant encourir une sanction de montants différents.
    Il était dès lors difficile de tenter de présenter cette critique comme nouvelle, et les circonstances nouvelles (changement des montants) ne le sont pas de manière significative eu égard aux principes juridiques en cause.
    Le rejet de l’argument ne faisait donc guère de doute, car il appartient au législateur de fixer le montant des amendes encourues et le simple fait de les accroître, au motif d’une plus grande efficacité dans la poursuite de l’objectif fixé, ne donne pas véritablement prise, en soi, à une contestation sur le terrain des principes constitutionnels… surtout lorsque ledit dispositif a déjà été jugé conforme.

  2. Concernant la critique adressée à l’alinéa 9 du I de l’article L441-6 c. com, les juges relèvent que l’argument tiré de la violation des principes de légalité des délits et des peines, et de proportionnalité et d’individualisation des peines est inopérant. Pour la juridiction administrative cela s’impose dès lors que les dispositions critiquées « n’instituent à elles seules aucune sanction ».
    Sans doute la partie du texte attaqué, l’alinéa 9 du I, ne fait que fixer un délai maximum de paiement qui s’impose aux professionnels. Là encore, le CE a la partie facile car pris isolément, cet alinéa ne donne pas prise à un examen au travers du prisme de ces principes constitutionnels. Il eut fallu pour cela viser une combinaison de plusieurs dispositions, dont celles fixant les sanctions.

  3. Concernant enfin l’argument tiré de la violation de la liberté d’entreprendre et d’égalité devant la loi. La requérante soutenait qu’en imposant un délai maximum de paiement, 60 jours à compter de la date d’émission de la facture, ou 45 jours fin de mois, et alors que le débiteur de l’obligation de payer peut ne pas être averti de l’émission de la facture, la loi n’était pas conforme à ces deux principes.

 Le CE juge au contraire qu’il n’y a pas de matérialité du grief car en prévoyant une option, le législateur, qui vise au « rééquilibrage des relations commerciales entre professionnels », ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Quant à la différence de situation face à l’application de la loi – c’est-à-dire le fait que le débiteur doit payer dans un délai légalement fixé alors qu’il peut ne pas être informé de l’émission de la facture, ni de l’option adoptée – cela ne constitue pas un grief non plus car les créanciers et débiteurs sont dans des situations différentes. En conséquence, la différence de traitement ne rompt pas l’égalité devant la loi. A situation distincte, traitement juridique distinct.

Ici, le raisonnement du CE est beaucoup moins convaincant : il procède lui-même au contrôle de conformité au regard des principes constitutionnels. En reconnaissant l’atteinte à la liberté d’entreprendre et l’absence de traitement égal, n’est-ce pas la reconnaissance du sérieux du questionnement.

Il fallait alors transmettre au Conseil constitutionnel… qui aurait alors peut-être adopté la même solution. Mais seul le Conseil constitutionnel dispose d’une telle compétence.

Le système juridictionnel français peut être considéré comme trop complexe, mais dans un état de droit libéral, les différentes compétences des différents juges visent à garantir un traitement équilibré et rationnel, légitime, des contestations portées par les justiciables. En ne faisant pas droit à la QPC sur ce dernier point, tout en reconnaissant la réalité d’une méconnaissance de certains principes à valeur constitutionnelle, c’est l’équilibre des compétences qui est ainsi fragilisé.

Une volonté de simplification

L’objectif poursuivi par les réformes constantes depuis le début des années 2000 pour rééquilibrer les relations commerciales entre professionnels, dont la question des délais de paiement et de la transparence, particulièrement peu satisfaisantes en France comparativement à d’autres États membres de l’Union, aura vu le développement d’un arsenal de mesures complexes à mettre en œuvre. La directive européenne concernant les délais (2011/7/UE) aura certes coordonné la matière existante au sein du marché unique, mais elle aura également ajouté une strate de complexité supplémentaire à l’édifice.

Cela explique la volonté de simplification, dont l’ordonnance du 24 avril 2019 est une application directe.

Mais en dépit des efforts annoncés, et comme dans beaucoup d’autres domaines, la seule volonté de simplification est insuffisante pour simplifier. Le régime juridique des délais de paiement et de la formalisation des relations commerciales demeure un maquis mal cartographié. Les professionnels savent que, désormais, ils devront continuer de naviguer avec une carte imprécise, puisque la possibilité d’une remise à plat au moyen d’un examen de la conformité à la constitution est exclue.

Du moins pour l’heure, en l’absence de circonstances nouvelles.

Photo d'Arnaud Raynouard
Arnaud Raynouard

Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en droit privé et sciences criminelles, et diplômé en gestion, Arnaud […]