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Dette publique : le Conseil d’Analyse Economique se penche sur la question

Un précédent post de notre blog donnait une présentation générale des enjeux de l’endettement public français. De manière très opportune, le Conseil d’Analyse Economique – un groupe d’économiste très reconnus placé auprès du premier ministre – vient de publier un rapport précisément sur ce sujet (Focus #124 du 16 octobre 2025).
Que contient-il ?

Un ajustement budgétaire évalué à
112 mds€ pour stabiliser la dette

En substance, l’avis du CAE rejoint celui d’Olivier Blanchard, tel que présenté dans notre précédent post. Selon les auteurs de l’étude, le risque de dérive de la dette publique française est avéré et il est urgent de faire un effort budgétaire très important pour stabiliser la trajectoire de la dette.

« Tant qu’il n’aura pas été réalisé [l’ajustement], la dette publique continuera d’augmenter en ratio de PIB, de même que le poids des charges d’intérêt dans le budget de l’État, à moins d’une forte surprise sur l’inflation ou la croissance. À terme, cette dynamique rendrait la dette publique insoutenable. »

La première partie de l’étude est consacrée à l’estimation, à l’aide d’un modèle macroéconomique, du montant de l’effort budgétaire total nécessaire pour stabiliser le ratio d’endettement à son niveau actuel. Les calculs du CAE qui prennent en compte de nombreux paramètres macroéconomiques aboutissent ainsi à un chiffre d’environ 112 mds€.

Il s’agit là d’un effort considérable : les recettes fiscales de l’Etat en 2025 s’élèvent à environ 350 mds€, on parle donc d’un tiers du total. Pour réaliser un ajustement public du budget de cette importance, le CAE souligne à la fois l’importance d’une mise en œuvre progressive, afin de ne pas pénaliser la croissance à court terme, mais d’en engagement politique assez important pour garantir la crédibilité de la trajectoire budgétaire.

L’analyse recommande, ainsi, la mise en place d’un plan d’action pluriannuel cohérent et d’un pilotage rigoureux des efforts pour permettre de restaurer la confiance dans les finances publiques françaises et préserver la capacité d’action de l’État. Le rapport préconise notamment une période de consolidation d’au moins 6 ans, avec un effort budgétaire de 27 mds€ pour 2026.

Un plan d’effort à construire soi-même à partir de 170 leviers

Dans une seconde partie, le CAE recense et chiffre 170 mesures envisageables pour réduire le déficit public. Elles incluent :

  • Des mesures permettant d’augmenter les recettes de 111 mds€ au total ;
  • des mesures de réduction des dépenses, pour 108 mds€ d’économies au total d’ici 2030 ; et
  • des réformes structurelles (augmentation de la croissance, baisse du chômage, etc.) pour 45 mds€ annuels à long terme. 

Toutes ces mesures et leur impact estimé sont présentées dans le Tableau 5 du rapport, tandis que celles concernant les dépenses et les réformes structurelles sont présentées dans les tableaux 4 et 6.

En fonction de sa sensibilité politique et sociale, il est donc possible de construire différents plans d’effort en combinant des mesures tirées de ce grand menu pour atteindre l’objectif de 112 mds€. Un site internet a même été réalisé (https://claude.ai/public/artifacts/74cd0701-a4f0-499e-a409-cae1da524ee4) pour permettre à chacun de s’essayer à l’exercice.

Sous l’angle purement fiscal, les mesures les plus « rémunératrices » concernent la hausse de la CSG, la suppression du quotient conjugal ou la baisse du seuil d’entrée dans la tranche à 10 % à l’IRPP. On trouve aussi le retour de la taxe d’habitation et l’augmentation du taux de TVA d’un point.

Les gains liés à des réformes de l’impôt sur les sociétés sont comparativement plus modestes (12 mds au total, sur les 11 mds). On peut détailler ci-dessous les principales mesures évoquées :

Relever le taux d’IS à 33,5 %

La mesure vise à relever le taux d’imposition sur les sociétés (IS) de 25 % à 33,5 %, revenant ainsi au niveau en vigueur avant la baisse progressive du taux d’IS engagée ces dernières années. En tenant compte des réponses comportementales des entreprises à une telle mesure (délocalisation ou optimisation fiscale, par exemple), le CAE chiffre son rendement à 4,4 mds€ de recettes fiscales supplémentaires pour 2026.

Notons à ce sujet que deux amendements proposant le relèvement du taux de l’IS à 33,3 % ont été déposés avant d’être rejetés en séance publique le 28 octobre 2025.

Modifier le CIR

Les mesures chiffrées incluent également de réduire de moitié la dépense allouée aux grandes entreprises et de supprimer le taux réduit du crédit d’impôt recherche (CIR) à 5 % applicable pour les dépenses en R&D supérieures à 100 m€, ce qui permettrait une économie estimée de 400 m€ pour 2026. Ce levier est cohérent avec les analyses précédentes du CAE qui, dans son Focus #90 de septembre 2022, invitait déjà à considérer une telle suppression.

De nouveau, plusieurs amendements portant, notamment, sur la suppression complète du CIR ou un élargissement du taux réduit du CIR ont été déposés. Ces amendements ont majoritairement été rejetés ou retirés lors des débats parlementaires (à l’heure où ce post est écrit)

Lutter contre la manipulation des prix de transfert par les multinationales

Enfin, l’étude prévoit un ensemble d’actions assez floues destinées à lutter contre la « manipulation des prix de transfert » par les multinationales. Le chiffrage correspondant (4,6 mds€) est lié à une autre étude du CAE et semble fondé sur la comparaison des taux effectifs d’impôts des multinationales en fonction de leur présence ou non dans des « paradis fiscaux ». Cette partie est à vrai dire trop peu détaillée pour que l’on puisse la commenter plus en détail, mais le résultat semble un peu hypothétique.

Même si les mesures décrites par le CAE, ainsi que leurs chiffrages, sont bien sûrs sujets à discussion, il faut saluer ce travail analytique très complet et regretter que les débats actuels concernant le PLF y fassent si peu référence.

  • Julien Pellefigue

    Avocat associé, Julien est membre de l’équipe prix de transfert du cabinet. Sa pratique recouvre l’ensemble des problématiques des prix…

  • Marie Lasbats

    Marie est économiste manager au sein de l’équipe Prix de Transfert de Deloitte Société d’Avocats.