Alors que le shutdown s’est achevé après six semaines de paralysie budgétaire, quelles sont les nouveautés en matière de fiscalité internationale à noter récemment de l’autre côté de l’Atlantique ?
Le spectre de la section 899 ?
Plusieurs représentants de la Commission des Finances de la Chambre des Députés (House Ways and Means Committee) – dont son président, le président de la sous-commission fiscale et celui de la sous-commission du commerce -, ont publié un communiqué conjoint dans lequel ils font part de leur opposition ferme au projet d’augmentation du taux de la taxe sur les services numériques actuellement débattue par les parlementaires français dans le cadre du Projet de Loi de Finances (PLF) pour 2026, considérant qu’elle viserait de façon injuste les entreprises américaines avec des mesures fiscales discriminatoires.
Bien que le communiqué ne mentionne pas explicitement la section 899, sa rédaction laisse peu de doute sur le fait que les législateurs Républicains pourraient l’envisager en réponse au projet français.
Pour rappel, la section 899 est une disposition initialement apparue dans les premières versions du One Big, Beautiful Bill Act (OBBBA), visant à augmenter le taux des prélèvements et étendre le champ d’application de la Base Erosion Anti-abuse Tax (BEAT) pour les résidents d’États ayant mis en œuvre des mesures fiscales considérées comme « injustes » à l’encontre des contribuables américains, telles que la Undertaxed Profits Rule (UTPR), les taxes digitales et certaines autres taxes.
One Big, Beautiful Bill Act (OBBBA) – Notre analyse
Plus particulièrement, les députés ont souligné que le projet de loi français relèverait le seuil de revenus – au-delà duquel la taxe s’appliquerait – à des niveaux qui selon eux visent délibérément les entreprises américaines, citant une augmentation du taux à la date de parution du communiqué de 3 à 15 % (alors que le projet en l’état actuel a ramené cette augmentation à un taux de 6 %) : « Le projet français d’augmentation de sa taxe digitale constituerait une attaque injustifiée à l’encontre des entreprises américaines du secteur digital, et ne laisserait pas d’autre choix au congrès américain et au gouvernement que de mettre en œuvre des mesures de rétorsion agressives. » Les auteurs du communiqué ont ainsi souligné que « si la France persistait à multiplier par cinq le taux de sa taxe digitale pour cibler les entreprises du secteur digital américaines, la [Commission des Finances] travaillera avec le Président Trump à une réponse en cohérence avec sa politique commerciale America First. À titre d’exemple, lorsque l’OCDE a menacé d’imposer de façon injuste les entreprises américaines, les Républicains de [la Commission] n’ont pas hésité à présenter et à débattre à la Chambre d’une législation destinée à protéger les intérêts de notre nation à l’étranger. ».
Comme indiqué plus haut, la section 899 avait été à l’origine incluse dans la version du futur OBBBA votée par la Chambre des Représentants. La disposition avait été par la suite abrogée lors de son passage devant le Sénat, conséquence d’un accord de principe entre le Trésor américain et les pays du G7 aux termes duquel il avait été convenu que les règles relatives au Pilier 2 ne s’appliqueraient pas aux groupes américains. Les négociations sur la mise en œuvre concrète de cet accord sont toujours en cours.
Le communiqué des élus de la Commission des Finances de la semaine dernière concluait sur une mise au point au ton résolument ferme, indiquant que « [nous] défendrons les travailleurs et entreprises américains en montrant clairement qu’il vaut mieux travailler avec les États-Unis que contre nous. ».
Entretemps, le Président Trump a annoncé de nouveaux accords commerciaux avec le Cambodge et la Malaisie le 26 octobre dernier, qui incluent l’engagement de la part de ces deux pays de ne pas voter de taxe digitale, ou autres mesures similaires discriminatoires, à l’encontre des entreprises américaines. De même, les États-Unis et la Thaïlande ont défini ensemble le cadre d’un futur accord commercial selon lequel la Thaïlande s’engagerait à éviter d’imposer des taxes digitales, ou autres mesures discriminatoires, sur les services digitaux ou les produits américains.
Côté français, il conviendra donc de suivre de près l’évolution du PLF lors de son passage au Sénat, comme ne manqueront certainement pas de le faire les élus Républicains au Congrès.
Plus généralement, une deuxième loi de finances d’ici la fin de l’année est-elle envisageable ?
Alors que l’IRS poursuit son travail d’élaboration des instructions administratives relatives à l’OBBBA, le président Trump a, fin octobre, fait part d’un changement de priorités législatives à la Maison Blanche, éloignant ainsi la possibilité d’un second projet de loi de finances. Il a, en effet, déclaré devant les sénateurs républicains que l’OBBBA promulguée le 4 juillet contenait tout ce qu’il souhaitait et qu’aucune législation supplémentaire n’était nécessaire.
« Nous n’avons pas besoin d’adopter d’autres lois », a-t-il affirmé lors de cette réunion. « Nous avons tout obtenu dans ce projet de loi », y compris « les plus importantes baisses d’impôts de l’histoire. Nous avons obtenu la prolongation des réductions d’impôts Trump. Tout cela, nous l’avons obtenu ».
Pour rappel, l’OBBBA a permis d’acter des éléments centraux du programme économique du Parti républicain ; elle comprenait ainsi un éventail de mesures visant à prolonger les composantes clés de la réforme fiscale de 2017, le Tax Cuts and Jobs Act (TCJA), à introduire des allégements fiscaux supplémentaires pour les particuliers et les entreprises, et à promouvoir les priorités républicaines en matière de production d’énergie, de sécurité aux frontières et de réforme des dépenses fédérales. Le coût d’ensemble étant partiellement compensé par des mesures d’économie, telles que la réduction ou la suppression progressive des dispositions sur l’énergie propre adoptées ou étendues dans l’Inflation Reduction Act (IRA).
Le président Trump avait joué un rôle décisif dans l’adoption de l’OBBBA, exerçant personnellement des pressions sur les parlementaires républicains réticents et mobilisant ses soutiens pour faire aboutir ce vaste paquet fiscal à temps pour l’Independance Day.
One Big, Beautiful Bill Act (OBBBA) – Version votée par le Sénat
Des points manquants limités
Une hypothétique nouvelle loi de finances pourrait inclure certains dispositifs abandonnés à la faveur des négociations sur le projet d’OBBBA en juillet dernier, tels que la possibilité de déduire une partie des pertes sur paris.
Il était également question d’encadrer la fiscalité sur les crypto-monnaies et autres actifs numériques. Toutefois, les avancées en la matière, annoncées à l’état de projet par certains sénateurs républicains cet été, sont à date limitées.
Quelles autres options ?
Le vote de l’OBBBA reposait sur une procédure dite de « budget reconciliation » permettant une adoption à la majorité simple en contrepartie d’un équilibre budgétaire mesuré sur une fenêtre de maximum 10 ans. Dans ce cadre, toute nouvelle dépense doit soit être compensée par de nouveaux impôts, soit faire l’objet d’un encadrement afin de ne pas, in fine, aggraver le déficit budgétaire, d’où les fins initialement programmées de plusieurs dispositifs contenus dans la réforme de 2017, réinstaurés par l’OBBBA, ou le durcissement d’autres mesures (plafonnement, relèvement de taux, etc.).
À défaut de procédure de réconciliation, la contrainte budgétaire est allégée, mais le projet de loi de finances devrait dans ce cas obtenir une majorité qualifiée, nécessitant un accord entre Républicains et Démocrates pour l’atteindre. Compte tenu du récent blocage budgétaire (shutdown) et des tensions grandissantes entre les deux camps, la probabilité d’une avancée législative sur ce terrain demeure, à ce jour, très incertaine.
Qu’en est-il en matière douanière ?
Divers élus Républicains se sont alliés aux Démocrates la semaine dernière pour voter trois résolutions visant à abroger certains droits de douane entrés en vigueur sous la présidence de Donald Trump :
- Résolution 81, portant abrogation de l’ordonnance (Executive Order) du 30 juillet 2025 imposant des droits sur les importations en provenance du Brésil
- Résolution 77, portant abrogation de l’ordonnance du 1er février 2025 imposant des droits sur les importations en provenance du Canada
- Résolution 88, portant abrogation de l’urgence nationale déclarée pour imposer des droits de douane mondiaux (« fact sheet » de la Maison Blanche déclarant une urgence nationale en date du 2 avril 2025)
À noter que, malgré ce vote, ces résolutions ont peu de chances de recueillir un vote favorable à la Chambre des Représentants et feraient en tout état de cause l’objet d’un véto présidentiel si elles parvenaient malgré tout à atteindre la majorité requise. Il s’agit donc plus vraisemblablement d’un vote symbolique que d’une véritable évolution de la politique douanière américaine.
Deux sénateurs s’en sont expliqués dans la presse : « (…) les droits de douane sont des impôts à l’importation payés par les consommateurs américains ». « Le Congrès, et non le Président, dispose de la compétence constitutionnelle pour lever l’impôt. Des droits de douane importants sur des partenaires commerciaux aussi proches que le Brésil et le Canada sont un abus de pouvoir présidentiel qui aboutit in fine à un appauvrissement des Américains. »
À l’inverse, le président de la commission des finances du Sénat s’est opposé à ces résolutions lors de sa prise de parole avant le premier vote, en invoquant le fait que la stratégie de Donald Trump commençait à payer, et que s’y opposer maintenant serait contre-productif : « alors que le gouvernement continue de négocier avec nos partenaires commerciaux, je comprends que mes collègues et nos électeurs s’inquiètent de ce qui se passera par la suite. Les négociations historiques du président portent leurs fruits. [Il] a déjà annoncé de nouveaux accords, des accords commerciaux, avec des partenaires importants, et notamment dernièrement avec le Cambodge et la Malaisie. D’autres annonces seraient encore à venir. J’encourage d’autres partenaires commerciaux à conclure des accords similaires. »
À ce stade, et en attendant la décision de la Cour Suprême sur la constitutionnalité des décisions prises par Donald Trump en matière douanière, les entreprises sont invitées à poursuivre leurs réflexions et simulations sur leurs chaînes d’approvisionnement pour leurs activités aux États-Unis.
