Le Conseil d’Etat juge que, pour l’application de l’exonération prévue par les dispositions de l’article 81 A du CGI en faveur des salariés expatriés, l’identification de l’employeur ne saurait être déduite de la seule conclusion formelle du contrat de travail.
Rappel
Les salariés fiscalement domiciliés en France, envoyés par leur employeur exercer leur activité dans un autre Etat, peuvent être exonérés d’IR sur tout ou partie des salaires perçus en rémunération de leur activité (CGI, art. 81 A).
L’application de ce dispositif est toutefois conditionnée au fait que l’employeur soit établi en France, dans l’UE, ou dans un Etat partie à l’accord sur l’EEE ayant conclu avec la France une convention d’assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.
L’histoire
Un contribuable français, salarié d’un groupe international, a été envoyé, à compter de 2014, en Angola et en Namibie, pour y exercer les fonctions de responsable de la maintenance à bord d’un navire de forage pétrolier.
Il a entendu bénéficier, dans ce cadre, de l’exonération en faveur des salariés expatriés prévue à l’article 81 A du CGI.
L’Administration a toutefois contesté l’application de ce régime, estimant que son employeur était l’une des filiales du groupe établie à Jersey, de sorte que la condition tenant au lieu d’établissement de l’employeur en France, dans l’UE, ou dans un Etat de l’EEE dûment conventionné n’était pas remplie.
Elle faisait valoir, à cet égard, que le contrat de travail avait été signé par ladite filiale de Jersey qui assurait également le versement de sa rémunération (en ligne avec sa position doctrinale traditionnelle et très formaliste, selon laquelle l’employeur s’entend de l’entité juridique à laquelle le salarié est contractuellement lié, BOI-RSA-GEO-10-10, n°110, 16 juin 2013).
Le contribuable arguait, lui, que son activité était organisée et contrôlée par la société mère du groupe établie en Grèce (pays membre de l’UE).
La décision du Conseil d’Etat
Infirmant la position retenue par les juges du fond, le Conseil d’Etat s’affranchit de l’approche formaliste qu’il avait pu retenir – de manière non systématique – par le passé (CE, 4 novembre 2020, n°436367).
Il vient poser un principe clair selon lequel la circonstance qu’un salarié soit formellement lié par un contrat de travail avec une société établie hors de France, de l’UE ou de l’EEE ne suffit pas, à elle seule, à exclure le fait qu’il puisse également se trouver dans une relation de subordination à l’égard d’un employeur établi en France, au sein de l’UE ou de l’EEE.
Dans une telle hypothèse, il appartient alors au juge de l’impôt, saisi d’une demande en ce sens, de rechercher si, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce et des justifications produites par le salarié, celui-ci se trouve dans une relation de subordination avec une personne autre que le signataire du contrat de travail.
Réglant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’Etat relève qu’au cas d’espèce, le salarié devait bien être regardé comme employé par la société mère établie en Grèce, où se situaient ses responsables hiérarchiques, lesquels :
- arrêtaient ses ordres de mission
- fixaient ses périodes de rotation sur le navire où il était affecté
- contrôlaient son activité
- assuraient sa formation professionnelle
- procédaient à ses évaluations annuelles
Son employeur étant donc situé dans un pays membre de l’UE, le contribuable pouvait effectivement revendiquer le bénéfice de l’exonération de l’article 81 A du CGI.
On ne peut que se féliciter de cette décision très pragmatique du Conseil d’Etat, qui vient, de surcroît, clarifier et unifier sa jurisprudence sur les modalités d’application de ce régime.
L’avis des praticiens : Magda Yasumoto et Romain Ressiguier
Il est bienvenu que le Conseil d’Etat applique en l’espèce une définition autonome (du droit civil) et économique de la notion d’employeur en appréciant la notion d’employeur en fonction du contexte factuel. L’employeur est la personne qui dispose du pouvoir de subordination sur le salarié : la simple constatation de l’existence d’un contrat de travail ne saurait suffire à elle-même, a fortiori dans le cadre de groupes internationaux avec des salariés en situation de mobilité internationale, pour caractériser la relation de travail.
Il aurait également été bienvenu que le Conseil d’Etat élargisse les critères à prendre en compte pour détecter la relation employeur/salarié en évoquant par exemple le fait que l’employeur est la personne qui assume les responsabilités et risques de l’activité du salarié, qui est en charge de sa formation et de son évolution professionnelle, … posant ainsi définitivement le faisceau d’indices permettant de désigner la personne qui doit être considérée comme l’employeur en matière fiscale.
La jurisprudence administrative est encore trop fluctuante sur la notion d’employeur – il est temps que la prévalence du fond sur la forme soit érigée en principe du droit fiscal, notamment dans des situations internationales. On pense ici à l’interprétation de l’article 15 (2)(b) du modèle de convention fiscale OCDE par le juge administratif qui diverge encore d’un cas d’espèce à l’autre, d’une juridiction à l’autre, créant ainsi une insécurité juridique pour les situations d’activité professionnelle transfrontière.