Fusion d’associations : l’anticipation, facteur clé du succès

Cet article a été publié sur la Revue Associations de Deloitte n°102 – Juillet 2023 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

 

Zoom sur les aspects juridiques et comptables de la fusion d’associations qui, puisqu’elle impacte profondément la gouvernance et le fonctionnement des structures impliquées, ne s’improvise pas.

Les associations évoluent dans un secteur très dynamique qui les oblige à régulièrement s’interroger sur leur structuration et leur fonctionnement. Ces réflexions, impulsées par des raisons économiques, juridiques ou encore par des injonctions des tutelles, peuvent les amener à coopérer avec d’autres structures associatives. Parmi le large panel de possibilités, la fusion constitue le mode de rapprochement le plus avancé et peut impacter l’ensemble des éléments préexistants. La mise en oeuvre d’une telle opération nécessite donc des réflexions et travaux préalables adéquats ainsi qu’une mise en oeuvre conciliant au mieux les enjeux des structures et le cadre légal. Dans un tel contexte, l’anticipation est un facteur clé de succès, au regard notamment des aspects décisifs suivants.

La détermination des modalités de l’opération de fusion

La fusion est l’opération au terme de laquelle une association apporte à une autre association, précédemment existante (fusion-absorption) ou spécialement constituée à cet effet (fusion-création), l’intégralité de son patrimoine, en principe de manière automatique par le mécanisme de la transmission universelle de patrimoine, l’opération entraînant, par ailleurs, la dissolution sans liquidation de l’association dont le patrimoine est transmis.

Si, d’un point de vue strictement juridique, la fusion-absorption apparaît plus simple à mettre en oeuvre, dans la mesure où elle n’impose pas de créer une nouvelle structure et nécessite d’encadrer la transmission d’un seul patrimoine, le choix entre les deux types de fusion dépend également des enjeux du projet et des attentes spécifiques des parties prenantes. Notamment, en pratique, face à la réticence des structures à être absorbées par leur partenaire (détermination du sens de la fusion) ou plus globalement en raison de considérations politiques voire de communication, la fusion-création est parfois la seule hypothèse envisageable. En tout état de cause, les impacts non négligeables du choix de la fusion nécessitent d’initier très rapidement les réflexions sur le sujet, et la réalisation d’audits est bien souvent indispensable pour avoir une meilleure vision de l’existant et faciliter la prise de décision.

La détermination de la gouvernance et la préparation des statuts

L’un des sujets majeurs à anticiper est la gouvernance post fusion et plus largement la préparation des futurs statuts qui fixeront, entre autres, les règles de gouvernance. L’objectif est d’aboutir à un schéma auquel adhéreront toutes les parties prenantes. Rappelons ici que, par l’effet de la fusion, les membres de l’absorbée deviennent automatiquement membres de l’absorbante.

Pour parvenir à cet objectif, il est bien souvent indispensable de mettre en place dès que possible des groupes de travail réunissant des représentants de chaque partie prenante, avec l’appui d’un conseil juridique pour rappeler le cadre légal dans lequel les réflexions doivent s’inscrire et traduire les accords des parties dans les statuts et le traité de fusion.

La législation offre une grande souplesse en matière de clauses statutaires, ce qui permet de les adapter pleinement au cas d’espèce mais impose une rédaction complète et précise.

Ce sujet doit donc être traité avec une attention toute particulière, les membres de la gouvernance post fusion étant les garants du respect du projet arrêté de concert entre les parties à la fusion.

Les conséquences sociales sur le personnel

L’opération de fusion va indiscutablement avoir des impacts sur les salariés des associations. Ces conséquences résultent de l’application de l’article L.1224-1 du Code du travail qui pose le principe d’un transfert automatique des contrats de travail en cours au jour de la fusion entre l’entité absorbée et celle qui l’absorbe. S’agissant d’une règle d’ordre public, les associations comme les salariés ne peuvent ni s’y opposer, ni même s’entendre pour ne pas appliquer ce transfert automatique et de plein droit. Dans ce cadre, la fusion-création ou la fusion-absorption aura des effets importants sur différents aspects.

Les relations individuelles de travail

Les contrats de travail en cours seront transférés, quelles que soient leur nature (CDI, CDD…) ou la durée du travail (temps complet, temps partiel), et nonobstant leur éventuelle suspension (arrêt maladie, maternité…), le détachement du salarié ou sa mise à disposition auprès d’une autre structure. Ce transfert entraîne pour le salarié une poursuite de son contrat de travail dans les conditions en vigueur au sein de l’association d’origine : maintien de la qualification du salarié, de sa rémunération contractuelle (salaire de base, primes…), de son ancienneté et des avantages contractualisés. Il est donc recommandé de réaliser un état des lieux des engagements figurant au sein des contrats de travail qui vont être transférés afin d’anticiper les obligations que l’association d’accueil devra respecter, les coûts que cela représente et les éventuels écarts entre les différents contrats en fonction de l’association d’origine.

La fusion nécessite une phase préalable indispensable d’analyses, d’audits et de concertations.

Les relations collectives de travail

En cas de fusion, les conventions et accords collectifs applicables à l’association absorbée sont automatiquement mis en cause et cesseront de s’appliquer après un délai de survie de 15 mois maximum (3 mois de préavis + 12 mois de période de survie). Au terme de ce délai, les salariés transférés perdront le bénéfice des avantages prévus par ces conventions et accords collectifs à l’exception d’une « garantie de rémunération » annuelle. Les usages et les engagements unilatéraux vont quant à eux être automatiquement transférés à la nouvelle association qui, pour y mettre un terme, devra respecter la procédure spécifique de dénonciation. À défaut, elle sera tenue de maintenir ces avantages mais uniquement au profit des salariés transférés, ce qui peut générer un sentiment d’inégalité entre les salariés. Enfin, en cas de fusion-absorption, le statut collectif de l’association absorbante est automatiquement appliqué aux salariés transférés. S’il existe un concours de normes entre ce nouveau statut et celui qui survit dans le cadre du transfert, c’est le statut le plus avantageux qui doit être appliqué aux salariés transférés. En ce sens, toute opération de fusion entraîne un surcoût pour les associations.

La réalisation d’un état des lieux des régimes existant avant l’opération est fortement préconisée et permet d’anticiper ces aspects pour espérer les régler en amont de l’opération de fusion. Ainsi, la conclusion d’un accord anticipé de transition ou d’adaptation peut être envisagée. À défaut, seul un accord de substitution, postérieur à la fusion, pourra harmoniser le régime collectif. En l’absence d’accord d’harmonisation, s’il est juridiquement toléré que des différences persistent (sous conditions), une telle situation est en pratique difficile à gérer et génératrice de nombreux contentieux. Par ailleurs, des spécificités sont à prendre en compte s’agissant des régimes d’épargne salariale ou de protection sociale complémentaire (prévoyance incapacité, invalidité et décès, frais de santé…).

À défaut, l’association pourrait perdre son droit à exonération des cotisations sociales afférent à ces régimes.

Les représentants du personnel

La loi prévoit expressément le maintien des mandats des représentants du personnel (membre du comité social et économique, délégués syndicaux…) quand l’association absorbée conserve, dans les faits, son autonomie, voire devient un établissement distinct au sein de l’association absorbante. À défaut, les mandats prennent fin de plein droit à la date de la fusion. Dans ce cas, s’il s’agit d’une fusion-absorption, seules les instances de l’association d’accueil pourront représenter les salariés issus de l’association absorbée jusqu’aux prochaines élections professionnelles. Ce travail de comparaison des régimes et avantages est essentiel car les impacts sociaux peuvent varier selon que l’opération consiste en une fusion-création ou en une fusion-absorption. Le choix du type de fusion ou du sens de la fusion peut donc dépendre des résultats de cet audit social. Cette analyse minutieuse devrait être menée le plus tôt possible et en parallèle des réflexions relatives à la gouvernance de la future structure ou de la valorisation des actifs et passifs de l’association.

Les enjeux relatifs au transfert des actifs et passifs de l’association

Par principe, la fusion entraîne la transmission universelle du patrimoine de l’absorbée à l’absorbante, soit l’intégralité des actifs et des passifs, et ce de manière automatique. Ce principe connaît toutefois quelques exceptions qui nécessitent d’être anticipées. C’est notamment le cas des contrats conclus intuitu personae, pour lesquels l’accord du cocontractant est requis, des contrats de prêts ou encore des conventions de subventionnement. Pour éviter les problématiques liées à ces sujets, il convient de réaliser en amont de la fusion un état des lieux des éléments devant faire l’objet d’un transfert (actifs, passifs, contrats, engagements hors bilan, litiges…) et d’identifier les différentes démarches à initier (autorisation préalable, information préalable, information a posteriori…). Par ailleurs, le transfert de certains actifs nécessite la réalisation de formalités spécifiques, à l’instar des biens immobiliers ou encore des marques.

Enfin, en fonction du secteur dans lequel évoluent les associations, celles-ci peuvent bénéficier d’agréments ou d’autorisations. Par principe, ces éléments ne sont jamais transmis automatiquement et l’association absorbante doit engager dès que possible les démarches pour obtenir ces agréments ou autorisations, a fortiori s’ils sont indispensables pour l’exercice des activités. En fonction de leur importance, les éléments repris ci-dessus pourront faire l’objet d’une condition suspensive au sein du projet de traité de fusion.

Les enjeux comptables

Valorisation des apports : valeur nette comptable ou valeur réelle

La loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (loi ESS) laisse le choix aux parties prenantes de retenir soit la valeur nette comptable, soit la valeur réelle.

En pratique, la plupart des opérations sont effectuées à la valeur nette comptable à la date d’effet de l’opération, ce qui permet d’assurer une certaine continuité dans la lecture des agrégats financiers et fait rarement l’objet de contestation. Plus rarement, certaines opérations sont réalisées à la valeur réelle dont la définition n’a pas été fournie par les textes et pourra donc être déterminée selon la valeur d’usage, la valeur vénale ou de marché. L’évaluation des actifs en valeur réelle peut constituer une opportunité pour procéder à une réévaluation avant l’opération. Cette démarche n’est pas sans conséquence, car elle doit porter sur l’ensemble du patrimoine de l’entité, et probablement sur l’ensemble des entités concernées, avec des enjeux qui peuvent être significatifs pour le futur, par exemple sur les dotations aux amortissements.

Intervention d’un commissaire à la fusion

Lorsque la somme des éléments d’actifs transmis par l’absorbée à l’absorbante est au moins égale à 1 550 000 € (ensemble du patrimoine actif mentionné dans le traité de fusion), les délibérations sont précédées de l’examen d’un rapport établi par un commissaire à la fusion. Il expose, dans son rapport, les conditions financières de l’opération et se prononce sur les méthodes d’évaluation et sur la valeur de l’actif et du passif des entités concernées.

Comptes de référence

Les comptes qui servent de base à l’opération sont, en principe, les derniers comptes approuvés par les organes délibérants des associations participant à l’opération. Si ces comptes se rapportent à un exercice dont la clôture est antérieure de plus de 6 mois à la date d’arrêté du projet de fusion, une situation comptable intermédiaire, arrêtée à une date antérieure de moins de 3 mois à la date de ce projet, doit être établie. Pour être comparables, les comptes des entités ou les situations comptables intermédiaires doivent être établis : – selon les mêmes référentiels : le plan comptable général, le règlement ANC n° 2014-03 complété du règlement ANC n° 2018-06 relatif aux comptes annuels des personnes morales de droit privé à but non lucratif et, parfois, de règlements propres aux activités des entités comme le règlement ANC n° 2019-04 relatif aux activités sociales et médico-sociales ; – selon une homogénéité des méthodes comptables, comme l’évaluation des actifs (immobilisations, stocks, créances, placements) et leurs amortissements ou dépréciations mais aussi des passifs (par exemple, provision pour indemnités de départ à la retraite mais aussi provisions réglementées des ESSMS).

La date d’effet

La date d’effet juridique de l’opération est, en principe, fixée par le traité de fusion ou en cas de création d’une nouvelle entité à la date de publication au Journal officiel. En pratique, la réalisation effective de l’opération ne pourra se faire qu’après la levée des conditions suspensives (par exemple, autorisation administrative conditionnant le droit de réaliser l’activité ou encore décret en Conseil d’État en cas de reconnaissance d’utilité publique). Cette date juridique déterminera la date de transfert des contrats. En l’absence de stipulation spécifique dans le traité, la date d’effet comptable coïncide avec la date d’effet juridique. Toutefois, il est fréquent pour des raisons de simplification des traitements comptables qu’une fusion ait un effet rétroactif au début de l’exercice ou, au contraire, une date d’effet différé.

Traitement comptable

Dans l’attente de la parution d’un règlement comptable sur la comptabilisation des opérations de fusion entre associations, sont proposés les schémas comptables ci-dessous pour l’entité absorbante. Les actifs et les passifs sont comptabilisés à la valeur d’apport et l’écart en résultant est comptabilisé selon que la situation nette de l’entité absorbée est : 

  • positive, au compte « Apports sans droit de reprise » 
  • négative, au compte « Charges exceptionnelles sur opérations de gestion ».

Anticiper la mise en oeuvre de la fusion : organisation des instances

L’association partie à l’opération de fusion (création ou absorption) qui emploie plus de 50 salariés et dispose d’un comité social et économique (CSE) doit l’informer et le consulter sur le projet de fusion et ses conséquences sur les conditions de travail des salariés. Cette consultation doit avoir lieu lorsque l’opération de fusion constitue encore un projet amendable mais nécessite d’avoir identifié ses conséquences sociales. En cas d’absence de consultation, outre un risque de délit d’entrave pour l’employeur, le projet de fusion peut être suspendu tant que la consultation du CSE n’a pas été régularisée. Enfin, la consultation du CSE est encadrée dans des délais précis. Elle doit s’intégrer dans le calendrier de l’opération de fusion compte tenu du processus de validation du projet de fusion par les organes de gouvernance de l’association. Par ailleurs, la réalisation de l’opération de fusion suppose des délibérations concordantes des assemblées générales des associations participantes dans les conditions fixées par leurs statuts pour leur dissolution, étant précisé que les organes délibérants ne peuvent statuer que 2 mois après la tenue des conseils d’administration ayant arrêté, en des termes identiques, les projets de traité de fusion et de statuts post fusion. S’agissant du traité de fusion, il s’agit du document reprenant l’intégralité des modalités et conditions de l’opération. Il doit notamment comporter les clauses relatives au traitement juridique, fiscal, social et comptable de l’opération et doit donc être rédigé avec précision et sur la base des différents travaux menés en amont (audits, groupes de travail, démarches accomplies ou à accomplir…). Concernant l’information des membres et des tiers et notamment des créanciers, une publication dans un journal d’annonces légales du projet de traité de fusion et du rapport du commissaire à la fusion doit être réalisée 30 jours au moins avant les assemblées générales. Dans ce même délai, la documentation relative aux associations participantes et à l’opération de fusion doit être mise à la disposition des membres au siège social, ce qui suppose que l’ensemble de ces éléments soient finalisés.

Si l’impact considérable d’une opération de fusion sur les organisations en place suscite souvent des réticences, à l’inverse, les travaux et réflexions qu’elle engendre sont souvent une opportunité pour améliorer les pratiques et le fonctionnement des associations, sous réserve d’anticiper l’opération et d’être accompagné par les experts compétents.

Jean-Yves Guyard

Jean-Yves suis directeur d’audit et il a 20 ans d’expérience dans le domaine de l’audit et de la comptabilité. Il travaille pour des organisations à but non lucratif et des […]

Simon Fréhaut

Simon a rejoint Deloitte Société d’Avocats en 2014 en tant qu’avocat au sein du bureau de Lille. Il est spécialisé en droit des affaires et en droit des sociétés.

Roxane Osanno

Roxane est avocate au sein du département de droit social de Deloitte. Elle a plus de 10 ans d’expérience en droit social français. Elle intervient pour le compte d’une clientèle […]