Rappel des faits
En juin 2015, quatre Etats membres (Autriche, Bulgarie, République Tchèque et Slovaquie) ont demandé une dérogation à la Commission en application de la Directive TVA (l’article 395) afin de lutter contre la fraude et éviter une évasion en matière de TVA. Ces Etats membres souhaitaient appliquer le mécanisme d’autoliquidation de la TVA à toutes les transactions domestiques entre assujettis d’un montant hors taxe supérieur à 10 000 €.
En d’autres termes, cette mesure éviterait que le vendeur assujetti à la TVA facture la TVA à l’acheteur assujetti. Ce dernier reporterait la transaction sur sa déclaration de TVA et calculerait la TVA due (TVA collectée). La TVA serait récupérée en fonction de son prorata sur la même déclaration de TVA. Ce mécanisme est déjà appliqué à certaines opérations transfrontalières (acquisitions intracommunautaires de biens, prestations de services réalisés entre assujettis) et pour lutter contre la fraude à l’occasion de certaines transactions. Ainsi dans certains états, l’autoliquidation est appliquée aux transactions réalisées par des assujettis non-établis à destination de clients identifiés ou établis dans ce pays, à certaines transactions internes (déchets neufs d’industrie, téléphones portables, quotas pour émissions de gaz…).
En octobre dernier, la Commission a informé ces quatre Etats membres qu’elle avait rejeté leur demande dans la mesure où l’application de ce système d’application générale ne saurait être considérée comme entrant dans le champ d’application des dérogations particulières prévues par l’article 395.
Toutefois, la République Tchèque, tenant à ce que cette idée soit étudiée de manière plus approfondie, a demandé à ce que ce point soit ajouté à l’ordre du jour de la réunion du Conseil ECOFIN du 15 janvier dernier.
Le Conseil a donc examiné la possibilité de lutter contre la fraude à la TVA grâce à une utilisation plus large du mécanisme d’autoliquidation pour le paiement de la TVA lors de cette réunion et a demandé à la Commission d’examiner les avantages et les inconvénients y afférents ainsi que les aspects juridiques liés au fait de donner à certains Etats membres la possibilité de tester une application élargie du mécanisme d’autoliquidation pour les livraisons intérieures entre deux assujettis établis ou immatriculés.
La Commission devrait présenter sa communication sur l’avenir définitif du système de TVA dans l’Union européenne en mars 2016 et y inclure cette solution.
L’autoliquidation interne généralisée est-elle une vraie bonne idée ?
Un gain de trésorerie pour les entreprises concernées
La TVA sur les livraisons de biens n’a plus à être financée par le vendeur. Il convient d’avoir en mémoire que pour les livraisons de biens, la TVA est payée lors de la remise matérielle de biens au client, même si ce dernier n’a pas payé sa facture. La TVA est également supportée par le vendeur lorsque l’entreprise a opté pour le paiement de la TVA lors de l’émission de la facture (option pour les débits) ou dans les Etats membres où la TVA est collectée lors de l’émission de la facture ou réalisation de la prestation.
Les entreprises sont de facto moins en situation créditrice et n’ont plus à attendre le remboursement de la TVA.
Il s’agit finalement de créer une « boite noire » dans laquelle les transactions dans le champ d’application de la TVA, taxables et ouvrant droit à déduction entre assujettis n’ont pas de conséquences financières.
Mais de très nombreux inconvénients
Le système actuel de TVA repose sur le principe fondamental du paiement fractionné : la TVA est collectée par le fournisseur et déduite par le client. Ainsi, la TVA est payée sur la valeur ajoutée à chaque étape du processus de fabrication et de commercialisation. La fraude n’est pas encouragée puisqu’un vendeur qui doit déduire de la TVA payée sur un achat est enclin à déclarer au Trésor la TVA qu’il a collectée pour réduire sa charge de TVA. Appliquer la TVA au dernier stade reviendrait à appliquer une « sales tax ». La fraude pourrait ainsi avoir lieu au dernier stade lors de la consommation finale sur la totalité du prix de vente, aucune taxe d’amont n’ayant été collectée. Ce serait la triste fin de notre intelligente TVA !
La fraude carrousel tant décriée de nos jours repose essentiellement sur le fait qu’une société qui achète des biens dans un autre pays de la Communauté autoliquide de la TVA (n’a pas à « récupérer » une TVA décaissée) et peut donc ainsi ne pas reverser la TVA qu’il a collectée. Une généralisation du système avec un seuil de déclanchement du régime pour les transactions supérieures à 10 000 € ouvrirait une plus large porte à la fraude.
Le système reposant sur le statut du client « assujetti », il conviendra de vérifier systématiquement, même pour les transactions internes, le statut de ce dernier et d’en garder la preuve. Ce système appliqué aux transactions domestiques serait donc plus lourd à gérer et complexe pour les vendeurs. Une insécurité juridique apparaîtrait (risque de remise en cause de la non-facturation de la TVA).
Un changement de méthodologie pour collecter la TVA impliquera la mise en place d’un nouveau système et induira des frais (modifications des systèmes comptables et de facturation, formation du personnel…).
Il sera nécessaire de mettre en place des contrôles supplémentaires (déclarations des transactions effectuées entre entreprises afin de vérifier que la TVA est bien autoliquidée dans la chaîne et finalement calculée sur la bonne base à la sortie de la « boite noire »).
Les règles applicables aux transactions exonérées ou taxables sur option devront être précisées (qui de l’acheteur ou du vendeur sera responsable pour déterminer si l’autoliquidation est applicable ou non). L’acheteur ne va-t-il pas se trouver dans une situation d’insécurité quant au traitement TVA applicable à son achat ?
Lorsqu’une entreprise n’autoliquide pas la TVA sur une transaction, elle est lourdement sanctionnée (application d’une pénalité de 5 % du montant de la TVA déductible) même si le Trésor n’est pas lésé. Cette sanction aurait vocation à s’appliquer à un plus grand nombre de transactions et un oubli peut vite arriver !
Une telle mesure aura également des conséquences au niveau des états en augmentant leur besoin de financement et pourrait éventuellement aboutir à des augmentations d’impôts ! Il faut mieux assurer les recettes d’un Etat par une taxe transparente et efficace comme la TVA que par des taxes complexes et nombreuses.
Si un seuil devait être appliqué aux transactions qui pourraient bénéficier de cette mesure, les entreprises pourraient être tentées de modifier leurs pratiques.
Un débat qui ne fait que commencer
L’avantage de trésorerie qui apparaît comme étant un avantage évident au premier abord doit donc être mis en balance avec les coûts immédiats et les risques potentiels. Il s’agit donc peut-être d’une vraie fausse bonne idée.
Il est certain que cette idée doit être discutée au niveau des opérateurs ainsi qu’entre les administrations et les opérateurs. Des études doivent être faites pour conforter les positions des parties.
Cette mesure pourrait éventuellement être mise en place dans un périmètre bien limité comme au sein d’un groupe, entre « bons » opérateurs (c’est-à-dire les opérateurs pour lesquels les autorités sont sûres qu’ils n’ont pas l’intention de frauder la TVA, comme les opérateurs économiques agréés ou autres). Cependant, il convient que cette mesure soit équitable dans son application afin de ne pas créer des distorsions de concurrence en laissant de côté les petites et moyennes entreprises, qu’elle apporte une réelle simplicité pour les entreprises et une sécurité juridique.
De plus, cette mesure doit être mise en balance avec les autres possibilités, discutées aujourd’hui au niveau européen pour avoir un système de TVA plus efficace et plus sûr.
Le sujet n’est donc pas clos et les discussions doivent commencer…