Imputation des déficits : pas d’option dans l’ordre d’imputation… au cas d’espèce seulement ?

La CAA de Paris juge qu’une entreprise ne peut pas se prévaloir d’avoir imputé par priorité ses déficits reportables les plus anciens, en l’absence de tout élément de preuve de nature à justifier les modalités selon lesquelles elle aurait été susceptible de procéder effectivement à cette imputation.

Rappel

On sait que, dès lors que le contribuable les a déduits des bénéfices imposables d’un exercice non prescrit, l’Administration est en droit de vérifier l’existence et le montant de déficits réalisés au cours d’exercices couverts par la prescription, et de remettre en cause les résultats prétendument déficitaires. Les rectifications apportées à ces résultats ne peuvent, toutefois, pas avoir d’autre effet que de réduire ou supprimer les reports déficitaires opérés sur des exercices non prescrits (CE, 13 novembre 1987, n°56447, notamment).

Plus récemment, le Conseil d’Etat est venu compléter cette jurisprudence en précisant que l’Administration est en droit de vérifier l’existence et le montant de déficits réalisés au cours d’exercices prescrits, y compris lorsque ceux-ci n’ont pas été imputés sur des exercices non prescrits en raison de la situation déficitaire de la société contrôlée (i.e. solde de déficits en report – CE, 5 juillet 2023, n°464928, SA ST Dupont).

L’histoire

Le 28 novembre 2007, une société procède à l’absorption de sa filiale à 100 % par voie de TUP, avec effet différé au 1er janvier 2008.

Au titre de l’exercice clos en 2007, la société confondante a déduit de son résultat des provisions pour dépréciation et au titre de l’exercice clos en 2008, un mali de confusion consécutivement à l’annulation des titres de sa filiale. Les 2 exercices, 2007 et 2008, étaient déficitaires.

L’Administration a remis en cause ces déductions, et considérant que le reliquat du montant total des déficits générés par la société (incluant celui généré par ces déductions) a été imputé sur les bénéfices réalisés au titre des exercices clos en 2013 et 2014 (non prescrits), a rectifié en conséquence les résultats de ces exercices.

Pour s’opposer à ce redressement, la société se prévalait de l’absence de règle imposant un ordre d’imputation des déficits, et indiquait que les déficits litigieux subis au titre des exercices 2007 et 2008 avaient été imputés sur les bénéfices réalisés au titre de l’exercice clos en 2010 (exercice prescrit), de sorte que l’Administration ne pouvait plus en demander la correction.

En 1re instance, le TA de Montreuil a confirmé l’absence de règle imposant un ordre d’imputation des déficits (la loi étant en effet muette sur ce point). Il a cependant jugé que des déficits subis au cours de plusieurs exercices sont « indistinctement cumulés pour leur imputation sur les bénéfices réalisés ultérieurement et ne peuvent être isolés selon l’exercice au cours duquel ils sont nés » (TA Montreuil, 2 décembre 2021, n°2003519, Sté Faun Environnement).

Autrement dit, il a refusé de reconnaître aux entreprises la faculté de millésimer leurs déficits en report, pour imputer le déficit d’une année donnée sur une année déterminée.

La décision de la CAA de Paris

La CAA de Paris, si elle confirme, au fond, la solution retenue par les juges de 1re instance, ne nous semble statuer qu’au regard des faits de l’espèce, sans se prononcer sur la possibilité – ou au contraire l’impossibilité – dans l’absolu, de millésimer des déficits en report.

Elle juge en effet que la société requérante ne pouvait se prévaloir d’avoir imputé par priorité ses déficits reportables les plus anciens, en l’absence de tout élément de preuve de nature à justifier les modalités selon lesquelles elle aurait été susceptible de procéder effectivement à cette imputation.

On observera que dans ses conclusions, le rapporteur public soulignait le caractère inédit de la question, et invitait la Cour à se prononcer, au-delà des faits de l’espèce, sur la question juridique du « millésimage » des reports déficitaires.

La position du Conseil d’Etat, s’il venait à être saisi d’un pourvoi, sera donc attendue.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.