Par une décision du 27 février 2019, le Conseil d’Etat a jugé que le droit de l’Union européenne fait obstacle à ce qu’en application des dispositions du 2 de l’article 119 bis du code général des impôts (CGI), une retenue à la source soit prélevée sur les dividendes perçus par une société non-résidente qui se trouve, au regard de la législation de son Etat de résidence, en situation déficitaire.
Répondant à une question préjudicielle que le Conseil d’Etat lui avait adressée, la CJUE, par un arrêt du 22 novembre 2018, avait jugé incompatible, au regard de la liberté de circulation des capitaux, l’imposition que subit, par rapport à une société déficitaire française, une société déficitaire étrangère qui acquitte une retenue à la source au taux conventionnel sur les dividendes qu’elle reçoit de sociétés françaises, lorsqu’est en cause une participation minoritaire (relire notre analyse sur le sujet).
La décision Sofina tire fort logiquement les conséquences de l’arrêt de la CJUE et apporte une précision inédite sur la manière dont le caractère déficitaire de la société non-résidente doit être apprécié.
Elle constitue un franc revirement, qui conduit à abandonner les jurisprudences GBL Energy et Kermadec (CE, 9 mai 2012, n° 342221 et 342222, GBL Energy ; CE, 25 novembre 2015, n° 373128, Sté Kermadec ; CE, 15 juin 2016, n° 381196, Société Frère Bourgeois et CE, 21 novembre 2016, n° 390506 et 390497, Groupe Bruxelles Lambert).
Le choix opéré par le Conseil d’Etat d’apprécier la situation déficitaire de la société étrangère au regard de la législation de son Etat de résidence, plutôt que des dispositions nationales, mérite d’être salué. Il présente en effet l’avantage d’éviter à une société non-résidente de devoir procéder à un calcul, éminemment complexe pour elle, de son impôt selon les règles du CGI. En outre, il est cohérent avec le constat, en amont, de l’existence d’une différence de traitement, dès lors que l’impossibilité d’imputer une retenue à la source résulte de la situation déficitaire dans le pays de résidence. Enfin, il pose ainsi une règle qui coïncide avec celle qui figure depuis 2015 au 2° de l’article 119 quinquies du CGI.
Pour l’avenir, pour tirer pleinement les conséquences de la décision Sofina, et pallier le décalage de trésorerie qui constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux, le législateur français va devoir mettre en conformité son dispositif. A la suite de la mise en demeure adressée par la Commission européenne à la France le 24 mars 2014, la loi de finances rectificative pour 2015 avait introduit dans le CGI un nouvel article 119 quinquies qui exonère de la retenue à la source prévue par l’article 119 bis, 2 du CGI les distributions faites au profit d’un non-résident dont le résultat fiscal, calculé selon les règles de l’Etat de résidence, est déficitaire et qui fait, à la date de la distribution, l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ou, à défaut, est en état de cessation des paiements et voit son redressement manifestement impossible. Toutefois, compte tenu de ce qu’a jugé la CJUE, ce texte, dès lors qu’il est limité aux sociétés en grande difficulté, n’est pas suffisant.
Sans prétendre à l’exhaustivité, deux voies s’offrent selon nous au législateur. La solution de facilité consisterait à soumettre l’ensemble des sociétés percevant des dividendes à une retenue à la source, qu’elles soient résidentes ou non. Elle induit toutefois un accroissement global des prélèvements obligatoires. Nul doute que tel n’était pas le but recherché par les sociétés qui ont formé des contentieux depuis des années. Une autre solution, sans doute plus conforme au principe d’effectivité, consisterait à accorder à un non-résident, déficitaire, au regard de la législation de son Etat, au cours de l’année de distribution, une restitution de la retenue à la source prélevée sur les dividendes dont il a bénéficié. Elle devrait sans doute s’accompagner d’une obligation de suivi annuel, qui permette d’imposer le non-résident le jour où il redeviendra bénéficiaire, pour éviter une discrimination à rebours avec un résident déficitaire qui serait imposé a posteriori, du fait de la réduction de ses déficits reportables, au titre de l’exercice où il redeviendrait bénéficiaire.
Pour le passé, comme nous l’indiquions il y a quelques semaines, la jurisprudence Sofina constitue une réelle opportunité contentieuse pour les sociétés non-résidentes déficitaires qui ont perçu des dividendes de sociétés françaises ayant fait l’objet d’une retenue à la source.
Les sociétés non-résidentes déficitaires concernées peuvent être établies dans l’Union européenne ou dans un pays tiers. Lorsqu’elles sont établies dans l’Union européenne, leur taux de participation dans la filiale française doit être inférieur à 5 % si les conditions du régime mère-fille sont remplies, ou inférieur à 10 % dans le cas contraire. Lorsqu’elles sont établies dans un pays tiers à l’Union européenne, le caractère minoritaire de la participation dans la société française doit être apprécié au cas par cas.
Des réclamations peuvent être présentées tant par la filiale française (au plus tard le 31/12/2019 pour les retenues à la source payées en 2017) que par la société non-résidente qui a perçu les dividendes (au plus tard le 31/12/2019 pour les dividendes reçus en 2017).