La qualité de maître de l’affaire est sans incidence sur les modalités de mise en œuvre de l’article 120,3° du CGI

Le Conseil d’État juge que la seule circonstance qu’un contribuable ait la qualité de maître de l’affaire d’une société étrangère et d’ayant-droit économique de ses comptes bancaires ne permet pas de le regarder, au sens du 3° de l’article 120 du CGI (permettant l’imposition en France des revenus de valeurs mobilières étrangères perçus par une personne physique résidente de France), comme un associé, actionnaire ou porteur de parts de cette société.

Rappel

Modalités d’imposition des revenus de valeurs mobilières étrangères perçus par un résident fiscal de France

Les revenus de valeurs mobilières étrangères, visés à l’article 120 du CGI, perçus par un contribuable personne physique résident de France, sont compris dans l’assiette de l’IR après déduction de l’impôt payé à l’étranger le cas échéant (qu’ils soient encaissés en France ou à l’étranger).

Sont notamment concernées les répartitions faites aux associés, aux actionnaires et aux porteurs de parts de sociétés (à un titre autre que celui de remboursement d’apports ou de primes d’émission), en application de l’article 120,3° du CGI.

La théorie du « maître de l’affaire »

La théorie du « maître de l’affaire » permet à l’Administration d’être regardée comme ayant apporté la preuve de l’appréhension de revenus réputés distribués par la personne dont elle établit qu’elle est, dans la société dont les revenus ont été regardés comme distribués, le seul maître de l’affaire (notamment, CE, 30 décembre 2011, n°332088). Cette notion jurisprudentielle conduit à rechercher si une personne est à même de disposer, sans contre-pouvoir, des biens de la société comme s’il s’agissait de ses biens propres.

L’Administration peut recourir à cette présomption du « maître de l’affaire » lorsqu’elle fonde son redressement sur les dispositions de l’article 109-1, 1° du CGI (présomption légale de distribution à l’égard de tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital) ou sur les dispositions de l’article 111, c du CGI (rémunérations et distributions occultes, voir notamment CE, 13 juin 2016, n°391240).

Il appartient alors au contribuable de contester les éléments de preuve apportés par l’Administration pour caractériser la qualité de maître de l’affaire.

En revanche, pour l’application des dispositions de l’article 109-1, 2° du CGI (qui réputent distribuées l’ensemble des sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, bénéficiaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices), la qualité de maître de l’affaire ne permet pas de présumer que ce dernier a effectivement appréhendé les revenus (CE, 29 juin 2020, n°433827 et 432815).

L’histoire

Un contribuable français était co-actionnaire avec une société de droit luxembourgeois, d’une société française. Cette société française a été cédée en décembre 2007.

A l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur la période 2007/2008, l’Administration a constaté que l’actionnaire personne physique français avait non seulement réalisé une plus-value dans le cadre de la cession de ses parts dans le capital de la société cédée, mais avait également appréhendé – sans l’avoir déclarée – la plus-value réalisée par la société luxembourgeoise.

Dans ce contexte, l’Administration a déposé, le 22 décembre 2010, une plainte pour fraude fiscale, s’étant concrétisée par la condamnation du contribuable pour fraude fiscale par une décision du juge judiciaire du 29 novembre 2018, devenue définitive.

En parallèle, l’Administration a adressé au contribuable, le 20 mai 2015, une 1ère proposition de rectification en se plaçant sur le terrain de l’abus de droit.

Le 14 août 2018, elle lui a adressé une seconde proposition de rectification, se substituant à la précédente, fondée cette fois sur les seules dispositions de l’article 120-3° du CGI et en appliquant la majoration de 80 % prévue en cas de manœuvres frauduleuses.

Les juridictions du fond ont confirmé le redressement (CAA Paris, 17 mai 2024, n°21PA06237, avec d’intéressants développements sur les modalités de prorogation du délai de reprise en cas d’ouverture d’une enquête judiciaire pour fraude fiscale, et sur la notion d’abus de droit « rampant »).

La décision du Conseil d’État

Devant le Conseil d’État, les débats ne portaient plus que sur la faculté de l’Administration à mettre en œuvre les dispositions de l’article 120, 3 °du CGI pour imposer le résident français à raison des sommes perçues de la société luxembourgeoise, alors même qu’il n’en était pas associé ou actionnaire.

La CAA de Paris avait admis l’application de ces dispositions en se fondant sur la circonstance que le résident, bien qu’il ne fût ni associé, ni actionnaire de la société luxembourgeoise (intégralement détenue par une société panaméenne), en était le maître de l’affaire et l’ayant-droit économique de ses comptes bancaires.

Notons que dans ses conclusions, le rapporteur public avait néanmoins émis des doutes sur le choix du fondement juridique de l’article 120,3 ° du CGI, même s’il soulignait que le contribuable français avait « incontestablement bénéficié des sommes » revenant à la société luxembourgeoise.

Le Conseil d’État s’en tient, lui, à une lecture stricte de la loi fiscale, et juge de manière claire que la seule circonstance que le contribuable français avait la qualité de maître de l’affaire de la société luxembourgeoise et d’ayant-droit économique de ses comptes, ne permettait pas de le regarder comme un associé, un actionnaire ou un porteur de parts au sens de l’article 120,3° du CGI.

Il annule donc, pour erreur de droit, la décision des juges d’appel.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.