Conseil d’État nos 473640, 473680, 474392, 475097, 475100 et 475194, 1re– 4e chambres réunies, 18 décembre 2024
Rappel des faits
La présomption de démission lorsqu’un salarié abandonne volontairement son poste a été instituée par la loi 2022-1598 du 21 décembre 2022 dite « Marché du travail ». Cette loi est entrée en vigueur avec la publication d’un décret le 17 avril 2023 pris pour son application et immédiatement complété par un « questions-réponses » du ministère du travail.
Ce décret précise qu’au chapitre VII du titre III du livre II de la première partie du code du travail, il est inséré une section 4 ainsi rédigée : Section 4 : Démission
- « Art. R. 1237-13.-L’employeur qui constate que le salarié a abandonné son poste et entend faire valoir la présomption de démission prévue à l’article L. 1237-1-1 le met en demeure, par lettre recommandée ou par lettre remise en main-propre contre décharge, de justifier son absence et de reprendre son poste. »
- « Le délai mentionné au premier alinéa de l’article L. 1237-1-1 ne peut être inférieur à quinze jours. Ce délai commence à courir à compter de la date de présentation de la mise en demeure prévue au premier alinéa. »
Des recours en annulation contre le décret ou le questions-réponses ont été déposés devant le Conseil d’État notamment par l’association de chefs d’entreprises Le Cercle Lafay, la confédération FO, le syndicat patronal Alliance plasturgie et composites du futur, l’Unsa et la CGT. Ces organisations reprochaient au nouveau dispositif, en autres, de fermer la porte au licenciement pour abandon de poste qui permettait aux salariés de bénéficier des allocations-chômage.
Rappel de la règle
Les articles L. 1237-1-1 et R. 1237-13 du Code du travail prévoient que le salarié qui abandonne volontairement son poste peut être mis en demeure par l’employeur de justifier son absence et de reprendre le travail, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai de 15 jours minimum à compter de la date de présentation de la mise en demeure. À défaut de reprise ou de justification légitime, il est présumé avoir démissionné à l’expiration de ce délai.
Dans une réponse à la mise en demeure, le salarié peut faire valoir un motif légitime d’absence : exercice du droit de retrait en cas de danger ou du droit de grève, raison médicale, refus d’exécuter une instruction contraire à la réglementation ou d’une modification du contrat de travail à l’initiative de l’employeur, notamment.
Décision
Les requérants considéraient ces dispositions insuffisantes pour garantir le caractère volontaire de l’abandon de poste et estimaient que le décret aurait dû compléter les dispositions légales qu’il mettait en œuvre.
Dans cet arrêt le Conseil d’État rejette les demandes d’annulation tout en précisant le contenu de la mise en demeure. Il considère que le défaut de précisions ne rend pas le décret illégal mais il assorti la mise en demeure de garanties d’information du salarié.
Le Conseil d’État déclare ainsi que pour que la présomption de démission s’applique en cas d’abandon de poste, le salarié doit avoir été informé, au moment de la mise en demeure, des conséquences qu’il risque s’il ne reprend pas son travail sans motif légitime justifiant son absence : il sera alors considéré comme démissionnaire.
Cette décision permet donc de lever le doute sur certaines incertitudes qui pesaient sur ce nouveau dispositif en imposant une garantie procédurale supplémentaire.
Notre avis
On peut s’interroger sur le degré de précision de l’information à donner au salarié. L’employeur doit, à minima, indiquer au salarié, dans sa lettre de mise en demeure, qu’à défaut de motif légitime d’absence ou de reprise du travail, il sera présumé démissionnaire, et que son contrat de travail sera rompu à l’expiration du délai qui lui est imparti pour répondre.
L’employeur peut aussi avoir intérêt, par prudence, à détailler les conséquences de la démission sur le préavis, ou sur les droits à chômage du salarié.