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Le Parlement européen adopte l’allégement du reporting de durabilité : une nouvelle ère pour la CSRD et la CS3D

Le 16 décembre 2025, le Parlement européen a franchi une étape décisive pour les entreprises européennes en adoptant l’accord provisoire sur le paquet « Omnibus I », visant à simplifier et alléger les obligations de reporting de durabilité (CSRD) et de devoir de vigilance (CS3D). Cet accord acte un allégement significatif du cadre réglementaire tout en maintenant l’ambition européenne en matière de durabilité. Cette évolution, très attendue par le monde des affaires, fait suite à de longs mois de négociations et répond directement aux critiques sur la lourdeur administrative des dispositifs initiaux.

CSRD : recentrage et simplification du reporting extra-financier

L’un des changements majeurs porte sur le relèvement des seuils d’application de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD). Désormais, seules les entreprises européennes de plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires annuel net supérieur à 450 m€ seront soumises à l’obligation de reporting social et environnemental. Cette disposition s’applique également aux entreprises non-européennes générant plus de 450 m€ de chiffre d’affaires dans l’UE, ainsi qu’à leurs filiales et succursales dépassant 200 m€ dans l’Union.

Le texte introduit une clause de révision visant à décider de l’éventuelle extension du périmètre d’application de la directive. Les petites et moyennes entreprises (SMEs) cotées restent exclues du champ d’application, conformément à la proposition initiale de la Commission. Par ailleurs, une option permet aux États membres d’exempter de reporting de durabilité les entreprises qui étaient soumises a reporting depuis 2024 mais qui sortent du champ du reporting obligatoire pour 2025 et 2026.

Les exigences sectorielles deviennent volontaires, et les standards européens de reporting extra-financier (ESRS) devront faire l’objet d’une révision par la Commission au moins tous les quatre ans, en s’appuyant sur les travaux de l’Efrag pour garantir cohérence et proportionnalité. L’objectif affiché est clair : fournir un cadre plus simple en termes de compréhension et de mise en œuvre, sans imposer aux entreprises assujetties de charge administrative ou financière disproportionnée.

En matière d’étendue de la mission confiée au certificateur de durabilité, la Commission devra adopter des standards d’assurance limitée (limited assurance) avant le 1er juillet 2027 – un report d’un an par rapport à la proposition initiale du Parlement. Enfin, pour accompagner les entreprises dans cette transition, un portail digital centralisé sera mis en place afin de leur donner accès aux modèles et guides nécessaires au respect des obligations européennes et nationales.

CS3D : un devoir de vigilance resserré sur les très grandes entreprises

Le périmètre du devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CS3D) connaît lui aussi une réduction substantielle par rapport au texte initial de la directive. Seules les sociétés européennes employant plus de 5 000 salariés et affichant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 1,5 mds€ seront soumises à ces obligations – tout comme les entreprises non-européennes franchissant ce seuil pour leur activité au sein de l’UE.

La directive abandonne l’obligation générale d’élaborer des plans de transition climatique. À la place, elle impose aux entreprises concernées une démarche fondée sur le risque effectif : il ne sera plus nécessaire de cartographier exhaustivement toute la chaîne de valeur mais plutôt d’identifier les zones présentant les impacts négatifs potentiels les plus importants. Le recours à des informations provenant des partenaires commerciaux en dessous du seuil n’est exigible qu’en cas d’impossibilité raisonnable d’obtenir ces informations par un autre moyen.

La directive met également fin au projet initial d’un régime européen harmonisé de responsabilité civile : toute sanction relèvera désormais exclusivement du droit national, même si une clause prévoit une réévaluation future sur ce point. Les sanctions pécuniaires sont plafonnées à 3 % du chiffre d’affaires mondial net.

Calendrier : anticipation et prudence requises

Le calendrier législatif est désormais arrêté : l’écriture finale du texte va commencer, sa publication est attendue au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE) en mars 2026, puis transposition par les États membres dans un délai maximal de douze mois. La CSRD nouvelle version s’appliquera donc à compter du 1er janvier 2027. Pour la CS3D, la transposition nationale devra intervenir au plus tard le 26 juillet 2028, avec une entrée en vigueur effective en juillet 2029 pour toutes les entreprises concernées.

L’avis de l’experte : Muriel Féraud-Courtin

Ce compromis représente une inflexion notable dans la stratégie européenne : il répond à la fois à la nécessité impérieuse de réduire la charge administrative pesant sur les entreprises – notamment les ETI – tout en réaffirmant l’objectif structurel d’une économie européenne durable. Le maintien des clauses de révision témoigne toutefois d’une volonté politique d’ajuster ce cadre si le contexte économique ou environnemental venait à évoluer.

La clarification apportée sur les exemptions pour certains groupes financiers ainsi que l’instauration d’un régime transitoire pour les auditeurs tiers témoignent aussi d’une attention portée à l’opérationnalité des mesures. Enfin, le renforcement des critères relatifs à la qualité des informations publiées et l’exigence croissante en matière numérique (portail unique) doivent permettre une meilleure comparabilité internationale sans sacrifier le pragmatisme attendu par les acteurs économiques.

Reste une inconnue de taille : comment le législateur national va-t-il remodeler le droit interne existant avec ce nouveau cadre européen, étant précisé que les Etats membres conservent une marge d’appréciation significative ?

  • Photo de Muriel Féraud-Courtin

    Muriel Féraud-Courtin

    Muriel Féraud-Courtin, Avocat Associée, a acquis une expérience de plus de 25 ans en droit des affaires et travaille en…

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    Arnaud Raynouard

    Professeur des Universités à l’Université Paris-Dauphine, Arnaud Raynouard anime le Comité Scientifique Juridique du cabinet Deloitte Société d’Avocats. Agrégé en…