Les entreprises familiales à l’épreuve de la nouvelle grille de lecture du Conseil d’Etat sur les management packages

La France est depuis toujours un vivier d’entrepreneurs. Preuve en est du poids et de la réputation des groupes familiaux et industriels français à travers le monde. Dans les chiffres, 11,2 % des sociétés cotées au CAC 40 ont un actionnariat familial et ce chiffre est porté à 75 % pour les ETI. La nouvelle grille de la lecture du Conseil d’Etat sur les managements packages incite les entrepreneurs à apporter la plus grande vigilance sur leurs investissements.

Une ouverture de capital restreinte

Si la France est en Europe le champion de l’actionnariat salarié, l’ouverture du capital aux salariés est surtout utilisée par les grandes entreprises : en 2019, 1/3 des salariés des sociétés du SBF 12O est actionnaire de la société dans laquelle il travaille, alors que seulement 4 % des PME, ETI non cotées ont ouvert leur capital à leurs salariés.

L’ambition définie durant les travaux de la loi Pacte de mai 2019 est de compter 10% de salariés au capital du groupe qui les emploie en 2030. L’enjeux de l’ouverture du capital aux salariés est double : permettre aux salariés de participer à la croissance de l’entreprise, tout en renouvelant la gouvernance actionnariale.  L’actionnariat des salariés est un levier très puissant pour motiver et fidéliser les salariés tout en répondant aux objectifs de création de valeur.

Dans certain cas cette ouverture du capital est réalisée au moyen d’une opération de co-investissement permettant ainsi d’aligner les intérêts des salariés avec ceux des actionnaires institutionnels ou familiaux.

Un encadrement renforcé

Afin d’encadrer cette participation et garder le contrôle sur le capital de la société non cotée, il est d’usage de prévoir pour ces salariés actionnaires la mise en place d’un pacte d’actionnaires intégrant des clauses d’incessibilité temporaire des titres ou encore des promesses de vente et d’achat des titres en cas de décès, départ de la société ou de violation de certains engagements.

A ces conditions juridiques, des objectifs de performances financières sont également mis en place (TRI, EBIDA, RSE par exemple) afin d’inciter ou renforcer l’investissement du manager dans la croissance de son entreprise.

Trois arrêts rendus en formation plénière par le Conseil d’Etat incitent à redoubler de vigilance quant aux conditions d’investissement de salariés ou dirigeants dans la société dans laquelle ils exercent leurs fonctions.

Le Conseil d’État a jugé cet été dans 3 décisions de principe, que les gains de management packagent (…) devaient être taxés en salaire, dès lors qu’ils trouvent « essentiellement (leur) source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié ».

Le Conseil d’Etat entend ainsi livrer une nouvelle grille de lecture pour déterminer si des gains issus de management packages doivent être imposés en tant que salaire ou plus-value.

Sans empiéter sur le rôle dévolu aux juges du fonds à qui il appartient d’apprécier les faits à chaque cas d’espèce, le Conseil d’Etat fournit un faisceau d’indices dont la liste ne saurait être limitative pour dessiner un lien entre l’investissement et la qualité de salarié/dirigeant du contribuable, comme par exemple :

  • Le fait que l’instrument ne soit attribué qu’au seul contribuable exerçant des fonctions opérationnelles au sein de la société.
  • L’existence d’objectifs financiers (TRI, multiple…), ainsi que de conditions d’incessibilité temporaire des instruments liées à ses fonctions (obligation de  » loyauté – exclusivité  » envers les sociétés du groupe, engagement de non-concurrence)
  • Le fait que le manager soit désigné comme le futur « manager de reprise » du groupe et que le pacte d’actionnaires prévoit que les investisseurs avaient pour intention d’accompagner la société pendant une certaine durée, et ce afin de participer à l’accomplissement du projet de développement notamment élaboré avec le contribuable.

Une portée qui peut être questionnée

Si la portée de ces arrêts est de clarifier la grille d’analyse que devront suivre les services vérificateurs et les juridictions pour s’assurer que les montages différenciant l’épargne des Managers avec les investissements des actionnaires principaux ne bénéficient pas de la flat tax, nous les saluons sans réserve sur le fonds.

Si en revanche une portée plus grande devait leur être donnée par lesdites parties prenantes, il conviendrait de rappeler avec force que la mobilisation de l’épargne des entrepreneurs dans leur outil de travail, dans le groupe qui les emploie, est bien au cœur du dynamisme de nos entreprises et de l’attractivité de notre pays.

Au-delà de la bonne structuration juridique et fiscale des investissements des dirigeants et des salariés, il convient de porter attention aux modalités d’exercice de leurs fonctions ainsi qu’aux caractéristiques juridiques et financières de leurs investissements.

Loin de céder à la confusion et à l’inquiétude, les entreprises familiales doivent se saisir de cette jurisprudence pour s’assurer de l’adéquation des instruments d’actionnariat salarié qu’ils utilisent avec leurs ambitions sociétales et objectifs économiques.

 

Orianne Achéritéguy

Orianne conseille les entreprises et les particuliers dans un contexte international sur les enjeux juridiques et fiscaux d’equity, de rémunération des dirigeants et de gouvernance. Elle accompagne notamment ses clients […]

Nicolas Meurant

Nicolas Meurant, Avocat Associé, a plus de 23 années d’expérience de conseil aux sociétés et aux particuliers dans un environnement international. Il a développé une solide compétence en matière de […]

Caroline Wiesener

Caroline a rejoint Deloitte Société d’Avocats en 2015 et a développé une expertise en matière de conception et mise en œuvre de schémas d’investissement et conseil en rémunération des dirigeants. […]