Le Conseil de l’OCDE a adopté, le 18 novembre 2025, la mise à jour du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE pour 2025. Cette nouvelle version introduit, à l’article 5 sur l’établissement stable, une grille de lecture inédite concernant la reconnaissance d’une installation fixe d’affaires résultant de l’exercice du télétravail dans un autre pays. La publication du Modèle de convention dans une version révisée et intégrale est annoncée pour 2026.
Régime antérieur
Selon les anciens paragraphes 18 et 19 des commentaires au Modèle de Convention fiscale de l’OCDE de 2017, un bureau situé au domicile d’une personne ne pouvait être qualifié d’établissement stable (ES) que si deux conditions principales étaient réunies : l’utilisation devait être continue pour l’exercice de l’activité de l’entreprise, et surtout, cette utilisation devait être imposée par l’employeur.
À l’inverse, une activité discontinue ou occasionnelle à domicile, ou le simple choix du salarié d’y travailler, ne suffisait pas à caractériser un ES.
Ce cadre avait été largement mobilisé lors de la pandémie de COVID-19 pour encadrer temporairement les conséquences fiscales liées à la généralisation du télétravail. Le télétravail imposé pour se conformer aux mesures de santé publique ne peut pas caractériser un ES. Toutefois, il s’est progressivement révélé inadapté et source d’incohérences dans la pratique internationale, notamment parce que les critères posés par l’OCDE n’assuraient pas toujours une application cohérente ni ne répondaient pleinement aux objectifs poursuivis par la notion d’établissement stable dans le droit fiscal international.
Une modification des paragraphes 18 et 19 était largement attendue afin de clarifier la relation entre télétravail et établissement stable.
Les apports des nouveaux commentaires
Champ d’application
L’OCDE retient une acception étendue du télétravail, qui ne se limite pas simplement à l’activité exercée depuis le domicile.
Sont en effet visés tous les lieux où une personne a la possibilité et fait le choix, pour des « motifs personnels », d’exercer tout ou partie de son activité professionnelle (salariée ou non) pour une entreprise située dans un État contractant, mais depuis un lieu établi dans l’autre État contractant (paragraphe 44.1). Cette définition exclut cependant de son champ :
- Les locaux mêmes de l’entreprise ;
- Les locaux d’une autre entreprise, ayant des liens avec la première entreprise (client, fournisseur, entreprise associée).
L’OCDE privilégie ainsi une approche large du « lieu pertinent » pour le télétravail, qui peut inclure non seulement le domicile, mais aussi une résidence secondaire, une location de vacances, ou encore le logement d’un ami ou d’un proche (liste non limitative).
Les critères utiles à la reconnaissance d’une installation d’affaires
Critère de fixité et permanence
Selon l’OCDE, la première condition pour reconnaître un établissement stable en situation de télétravail est que l’installation présente un certain degré de permanence, ce qui se vérifie si l’individu accomplit au moins 50 % de son temps de travail total sur douze mois consécutifs dans son domicile ou un autre « lieu pertinent » pour le compte d’une entreprise (paragraphe 44.8). Dès lors :
- Si ce seuil n’est pas atteint, le domicile ou l’autre lieu pertinent n’est en principe pas considéré comme une installation d’affaires de l’entreprise ;
- Si ce seuil est atteint, cela n’entraîne pas automatiquement la qualification d’une installation d’affaires : une analyse devra, à la lumière des faits et circonstances propres à la situation, déterminer si les conditions complémentaires développées par l’OCDE sont remplies.
L’évaluation du temps de travail repose sur le comportement effectif de l’individu, qui devra être documenté. Les éléments contractuels ou les politiques internes de l’entreprise peuvent servir de justificatif, à condition qu’ils reflètent le travail effectivement accompli dans le lieu concerné (paragraphe 44.9).
L’existence d’une raison commerciale motivant la situation de télétravail
Afin de pouvoir qualifier un établissement stable, le critère du seuil de 50 % du temps télétravaillé doit être apprécié conjointement à l’existence d’une raison commerciale motivant la situation de télétravail.
Une relation commerciale est caractérisée dès lors que la présence physique de l’individu dans l’État concerné facilite l’exercice de l’activité de l’entreprise (paragraphe 44.11). Généralement, la condition sera satisfaite dès lors que la présence physique de l’individu sur place permettra d’accéder à des personnes ou ressources présentes dans cet État et nécessaires à l’activité, ou encore d’entretenir des relations directes avec des clients, fournisseurs, entreprises associées ou autres personnes (paragraphe 44.12).
On présume donc l’existence d’une raison commerciale lorsque l’individu a des interactions directes avec ces parties au nom de l’entreprise et qu’elles sont facilitées par sa présence physique dans l’État concerné (paragraphe 44.12). Tel est le cas dans les situations suivantes (paragraphe 44.17) :
- Des réunions entre l’individu et des clients de l’entreprise ;
- La prospection d’une nouvelle clientèle, ou l’identification de débouchés commerciaux ;
- L’identification de nouveaux fournisseurs, la gestion des relations avec les fournisseurs, ou l’établissement, le suivi ou la gestion des relations contractuelles avec des fournisseurs ;
- Des interactions en temps réel, ou quasiment en temps réel, avec des clients ou des fournisseurs se trouvant sur un (des) fuseau(x) horaire(s) différent(s) (consistant par exemple à fournir des services de centre d’appel, ou des services d’assistance informatique ou médicaux à distance) ;
- L’accès à des compétences utiles pour l’exercice de l’activité de l’entreprise (ex. réunions régulières avec le personnel d’une université qui effectue des travaux de recherche en rapport avec l’activité de l’entreprise) ;
- La collaboration avec d’autres entreprises ;
- La fourniture de services à des clients se trouvant dans cet autre État lorsque cette prestation exige une présence physique des salariés ou d’autres membres du personnel de l’entreprise dans cet autre État (comme des services de formation ou de réparation fournis dans les locaux du client) ;
- Des interactions avec des salariés et d’autres membres du personnel de l’entreprise, ou d’entreprises associées.
La raison commerciale n’a pas à être appréciée en fonction du caractère productif du travail effectué à domicile ou dans un lieu pertinent, si bien que la première justification liée à un besoin commercial suffit à remplir la condition (paragraphe 44.13).
Notons toutefois que cette présomption est simple et peut être renversée (paragraphes 44.14 et 44.18). Ainsi, ne seront pas considérées comme relevant d’une raison commerciale les situations où les interactions directes ont un caractère purement occasionnel ou accessoire (ex. de brèves visites ponctuelles chez un client ou des échanges mineurs n’emportent pas qualification automatique).
Ne seront pas non plus retenues les situations dans lesquelles le télétravail n’est autorisé que pour satisfaire aux préférences personnelles du salarié (afin d’attirer/conserver celui-ci) ou uniquement pour réduire les coûts structurels de l’entreprise (notamment via la diminution des surfaces de bureaux), sans qu’il existe un besoin objectif lié à l’activité exercée dans l’État de destination (paragraphes 44.15 et 44.16).
Enfin, certains critères pris isolément ne suffisent pas à établir une raison commerciale (paragraphe 44.18) :
- La seule présence de clients, de fournisseurs ou d’entreprises associées dans l’État contractant,
- Ou le simple fait que le domicile se trouve dans un fuseau horaire différent,
ne permettent pas, à eux seuls, de conclure à l’existence d’une telle motivation commerciale.
Absence de raison commerciale : prise en compte des autres circonstances de fait
Lorsque le seuil de 50 % du temps de travail à domicile est atteint ou dépassé, mais qu’aucune raison commerciale ne motive l’exercice du travail à domicile ou dans un autre lieu pertinent, l’OCDE précise que ce lieu ne sera en principe pas considéré comme une installation d’affaires de l’entreprise dans l’État concerné. Toutefois, il demeure possible de qualifier un établissement stable si d’autres faits et circonstances le justifient expressément (paragraphe 44.19).
L’OCDE attire notamment l’attention sur les situations où un individu est la seule personne, ou la principale personne, à réaliser l’activité de l’entreprise. À titre d’exemple (paragraphe 44.20), une consultante non-résidente présente de manière prolongée dans un État où elle exerce l’essentiel de l’activité de sa propre entreprise de conseil depuis un bureau installé à son domicile peut voir ce bureau considéré comme une installation d’affaires au sens du Modèle OCDE.
Les exemples donnés par l’OCDE
L’OCDE donne ensuite une série d’exemples afin d’illustrer en pratique l’apport de ces nouvelles dispositions.
Exemple A – Pas d’ES pour défaut de fixité
Une salariée de RCo, une entreprise de l’État R, travaille sur le territoire de cet État dans le cadre de son activité professionnelle courante. Au cours d’une période de douze mois :
- elle loue un lieu situé dans l’État S pour une période de trois mois consécutifs à la suite d’un séjour de vacances dans l’État S …
- … et travaille dans ce lieu.
Le lieu où elle travaille dans l’État S ne doit pas être considéré comme fixe, car l’activité de RCo a été exercée dans ce lieu pendant trois mois au cours de la période de douze mois. Il n’a donc pas de permanence.
On parviendrait à la même conclusion si les faits étaient les mêmes que ceux présentés ci-avant et si la période travaillée dans un lieu situé dans l’État S s’expliquait par un autre motif à caractère personnel, tel que la prise en charge d’un proche malade.
La conclusion serait également identique si les faits étaient les mêmes que ceux exposés ci-avant et si le lieu où elle travaillait n’était pas son lieu de résidence mais un autre endroit.
Lorsqu’un lieu est utilisé pour exercer l’activité de l’entreprise de manière récurrente sur une période de plusieurs années, il faut prendre en considération chaque laps de temps pendant lequel ce lieu est utilisé au regard du nombre de fois où il l’a été au cours de cette période de plusieurs années. Le fait qu’un individu conserve un lieu (comme une maison de vacances) et assume des coûts liés à son entretien tout au long d’une période donnée n’entre pas en ligne de compte ; le temps consacré à l’accomplissement d’un travail lié à l’activité de l’entreprise dans ce lieu est l’élément déterminant à prendre en considération pour établir si ce lieu est fixe aux fins du paragraphe 1 de l’article 5.
Exemple B – fixité mais moins de 50 % de télétravail = pas d’ES (en l’absence d’autres faits et circonstances de fait ? pertinents)
Une salariée de RCo, une entreprise de l’État R, travaille à son domicile dans l’État S un ou deux jours par semaine tout au long d’une période de douze mois, ce qui représente au total 30 % de son temps de travail au cours de cette période de douze mois.
Le domicile où elle travaille dans l’État S doit être considéré comme fixe, car ce lieu est utilisé pour effectuer un travail lié à l’activité de RCo tout au long de la période de douze mois et présente donc un degré suffisant de permanence.
Cette personne passe moins de 50 % de son temps de travail à son domicile dans l’État S. En l’absence d’autres faits et circonstances attestant le contraire, son domicile n’est pas une installation d’affaires de RCo, et n’est donc pas une installation fixe d’affaires constituant un établissement stable de RCo dans l’État S.
Exemple C : (i) Fixité (ii) plus de 50 % de télétravail et (iii) motif commercial = ES (en l’absence d’autres faits et circonstances attestant le contraire)
Un salarié de RCo, une entreprise de l’État R :
- travaille à son domicile dans l’État S pendant 80 % de son temps de travail sur une période de douze mois ;
- se rend régulièrement chez des clients de RCo dans l’État S pour leur fournir des services.
Le domicile où il travaille dans l’État S doit être considéré comme fixe, car ce lieu est utilisé pour effectuer un travail lié à l’activité de RCo tout au long de la période de douze mois et présente donc un degré suffisant de permanence.
Cet individu passe au moins 50 % de son temps de travail à son domicile dans l’État S.
Il existe une raison commerciale à sa présence dans l’État S. La présence de ce salarié dans l’État S est en effet motivée par une raison commerciale pour RCo, puisqu’elle facilite la fourniture des services de l’entreprise (par l’intermédiaire de cet individu) aux clients se trouvant dans l’État S, où est situé le domicile de cet individu.
En l’absence d’autres faits et circonstances attestant le contraire, son domicile est une installation d’affaires de RCo et une installation fixe d’affaires constituant un établissement stable de RCo dans l’État S.
Exemple D : Renversement de la présomption relative à l’existence d’une raison commerciale = pas d’ES
Un salarié de RCo, une entreprise de l’État R :
- travaille à son domicile dans l’État S pendant 60 % de son temps de travail au cours d’une période de douze mois ;
- a des fonctions consistant exclusivement à travailler en relation directe avec la clientèle et il fournit des services aux clients de RCo dans l’État R, dans l’État S et dans des États tiers ;
- fournit ces services à distance, sans rencontrer physiquement ces clients ;
- se rend une fois par trimestre dans les locaux d’un client dans l’État S pour y passer une journée à faire le point sur les prestations fournies au regard des dispositions du contrat conclu avec RCo.
Le domicile où il travaille dans l’État S doit être considéré comme fixe, car ce lieu est utilisé pour effectuer un travail lié à l’activité de RCo tout au long de la période de douze mois et présente donc un degré suffisant de permanence.
Bien que l’individu passe plus de 50 % de son temps de travail à son domicile dans l’État S, d’autres faits et circonstances, notamment la raison de la présence de cet individu dans l’État S, doivent également être pris en considération.
La seule présence de clients de RCo dans l’État S ne signifie pas qu’il existe une raison commerciale à sa présence dans cet État. En outre, ses visites chez un client ont un caractère discontinu et occasionnel.
Conclusion : il n’existe pas de raison commerciale justifiant qu’il effectue son travail lié à l’activité de RCo à son domicile dans l’État S. En l’absence d’autres faits et circonstances attestant le contraire, son domicile n’est pas une installation d’affaires de RCo, et n’est donc pas une installation fixe d’affaires constituant un établissement stable de RCo dans l’État S.
Exemple E : Travail quasi exclusif en distanciel dans l’autre Etat (situé dans un fuseau horaire différent) + services à distance notamment à des clients établis dans l’Etat d’exercice du télétravail = Fixité + motif commercial = ES
Une salariée de Rco, une entreprise de l’État R :
- travaille presque exclusivement à son domicile situé dans l’État S;
- fournit des services à distance à des clients établis dans l’État R et/ou dans d’autres juridictions se trouvant sur des fuseaux horaires qui diffèrent de celui de l’État S.
L’accomplissement de ce travail dans l’État S permet à cette salariée d’être pleinement disponible (notamment en offrant des services en temps réel ou quasiment en temps réel 24 heures sur 24) pour les clients de RCo, quel que soit leur fuseau horaire.
Le domicile où elle travaille dans l’État S doit être considéré comme fixe, car ce lieu est utilisé pour effectuer un travail lié à l’activité de RCo tout au long de la période de douze mois et présente donc un degré suffisant de permanence. Cette personne passe au moins 50 % de son temps de travail à son domicile dans l’État S, et il existe une raison commerciale à sa présence dans l’État S.
La présence de cette salariée dans l’État S est en effet motivée par une raison commerciale pour RCo, puisqu’elle facilite la fourniture des services de l’entreprise (par l’intermédiaire de cette personne) aux clients établis dans l’État R (et à ceux qui se trouvent sur d’autres fuseaux horaires que celui de l’État S).
Conclusion : En l’absence d’autres faits et circonstances attestant le contraire, son domicile est une installation d’affaires de RCo et une installation fixe d’affaires constituant un établissement stable de RCo dans l’État S.
