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Opérateurs numériques : le juge se réfère à des concepts TVA pour définir et limiter la base imposable de la Taxe sur les services numériques

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise[1] a accepté la restitution partielle de la Taxe sur les Services Numériques (TSN) sollicitée par une plateforme numérique, au motif que certains des services fournis aux utilisateurs devaient être considérés comme dissociables et indépendants du service taxable d’intermédiation numérique, et donc exclus du champ d’application de la taxe.

Pour rappel, la taxe sur les services numériques a été instituée par la loi n° 2019-759 du 24 juillet 2019. L’objectif de Bercy[2] était de « mettre en place une taxe sur les produits bruts tirés de certains services numériques fournis par les grands groupes du secteur caractérisés par l’importance de l’internaute dans la création de valeur ».

Le législateur[3] a traduit cette volonté en assujettissant notamment « La mise à disposition, par voie de communications électroniques, d’une interface numérique qui permet aux utilisateurs d’entrer en contact avec d’autres utilisateurs et d’interagir avec eux, notamment en vue de la livraison de biens ou de la fourniture de services directement entre ces utilisateurs. »

L’article 299 bis du CGI[4] prévoyait ainsi, s’agissant des services d’intermédiation numériques, que les sommes taxables à la TSN sont constituées de l’ensemble des sommes versées par les utilisateurs de l’interface numérique en cause, à l’exception des sommes versées en contrepartie d’opérations qui constituent, sur le plan économique, des opérations indépendantes de l’accès et de l’utilisation de l’interface numérique.

Cependant, la doctrine administrative[5] en vigueur précise que ne peuvent en aucun cas être considérées comme indépendantes de l’accès ou de l’utilisation de l’interface les livraisons de biens et prestations de services :

  • qui sont indispensables à l’accès et à l’utilisation de l’interface numérique en cause, ou sans lesquelles cet accès ou cette utilisation s’effecturaient dans des conditions dégradées par rapport aux conditions dans lesquelles les utilisateurs qui les acquièrent accèdent ou utilisent l’interface ;
  • dont l’objet est de permettre de bénéficier de fonctionnalités additionnelles ou améliorées dans l’utilisation de l’interface numérique ; ou
  • qui dont directement destinées à accroître les interactions sur l’interface numérique en cause.

L’administration fiscale fournit d’ailleurs un exemple particulièrement proche du cas d’espèce pour illustrer les services qui sont, selon elle, nécessairement dépendants des services d’intermédiation numérique :

Exemple : L’exploitant d’une place de marché commercialise auprès des vendeurs des services permettant notamment d’accroître la visibilité de leur offre, de mettre en avant la qualité de la livraison physique des biens aux consommateurs ou de permettre un positionnement privilégié dans les recherches. Ces services ayant pour objet une meilleure utilisation de la place de marché pour les vendeurs, ils n’en sont pas indépendants et seront donc inclus dans l’assiette de la taxe. »

Or, en faisant application des critères utilisés en matière de TVA pour déterminer l’étendue d’une opération, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise semble ici s’écarter de la position de l’Administration en permettant une plus large exclusion des services fournis par les opérateurs de plateformes de la base imposable à la TSN.

Bref rappel des faits

La plateforme en cause met à la disposition des utilisateurs une place de marché numérique permettant notamment à des vendeurs et acheteurs d’entrer en contact en vue de réaliser des livraisons de biens et des prestations de services. Par ailleurs, l’opérateur commercialise également deux programmes spécifiques auprès des utilisateurs de la plateforme, dont l’inclusion dans la base imposable à la TSN était ici contestée.  

Le premier programme se compose d’un service logistique comprenant le traitement des commandes des produits des vendeurs tiers, leur entreposage dans les centres de logistique, leur expédition avec la garantie d’une livraison rapide, ainsi que la gestion des retours clients par le service consommateur. Il comprend également une partie référencement qui permet aux vendeurs souscripteurs de l’option de bénéficier de fonctionnalités additionnelles et d’avantages commerciaux permettant une meilleure visibilité sur la place de marché.

L’administration a refusé d’exclure ce programme de la TSN au motif que cette prestation, dont, selon elle, l’élément principal est le référencement, constitue une opération indissociable de l’accès et de l’utilisation de la place de marché.

Le second programme commercialisé comporte plusieurs services divers, notamment un service d’expédition rapide et sans frais des produits achetés sur la marketplace (« Prime Delivery »), un service de livraison d’épicerie (« Prime Now »), un service d’accès à des contenus vidéos (« Prime Vidéos ») et un service de téléchargement de jeux en ligne (« Prime Gaming »).

L’Administration, pour laquelle le service « Prime Delivery » est la composante principale de l’offre, a refusé d’exclure cette offre de la TSN, au motif qu’elle ne constituait pas une opération indépendante de l’accès et de l’utilisation de l’intermédiation numérique.

Le Tribunal administratif fait une interprétation des règles de la TSN à l’aide de concepts définis pour les besoins de la TVA

En application des principes utilisés en matière de TVA pour déterminer l’étendue d’une opération (article 257 ter du CGI), et en relevant notamment l’étendue des services, leur caractère facultatif, leurs modalités de facturation et leur finalité pour le consommateur moyen, le tribunal administratif a considéré :

  • d’une part, que l’utilisation de la place de marché et les programmes en cause ne forment pas objectivement une seule prestation économique ou opération complexe unique ; et
  • d’autre part, que ces programmes ne constituent pas un accessoire mais bien une prestation indépendante à l’accès ou à l’utilisation de l’interface.

Par conséquent, le tribunal valide l’exclusion des rémunérations perçues par la plateforme en cause au titre de ces deux programmes de l’assiette de la TSN.

Les opérateurs de plateforme peuvent se référer utilement aux principes TVA pour mieux revisiter leur niveau d’assujettissement à la TSN

Dans son jugement, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise fait explicitement référence aux critères utilisés en matière de TVA pour déterminer l’étendue d’une opération.

En effet, au regard de la TVA, le même régime s’applique à deux ou plusieurs éléments ou actes qui sont si étroitement liés qu’ils forment, objectivement, une seule prestation économique indissociable dont la décomposition revêtirait un caractère artificiel.

En adoptant la perspective du consommateur moyen pour évaluer l’étendue des opérations pour la TSN, le juge s’aligne sur la jurisprudence concernant la détermination de l’étendue d’une opération en TVA.

Par ailleurs, une prestation complémentaire est soumise au régime de la prestation principale à laquelle elle est liée, si elle est considérée comme accessoire par rapport à l’opération principale. Pour évaluer le caractère accessoire ou non de la prestation, le juge s’appuie sur un faisceau d’indices, qui ont pour la plupart été utilisés par le tribunal administratif au cas particulier.

Sur la base de ce jugement, les opérateurs numériques de mise en relation, qui entreraient dans le champ de la TSN, pourront, à notre sens, s’inspirer avec pertinence du courant jurisprudentiel nourri défini en matière de TVA au regard de la qualification d’une opération complexe unique, pour apprécier au cas par cas si certains des services commercialisés par l’opérateur doivent être effectivement inclus dans la base d’imposition de la TSN au même titre que le service stricto sensu de mise en relation.


[1] Jugement rendu le 23 septembre 2025 – n°2300178 – SAS AMAZON ONLINE France

[2] Exposé des motifs du projet de loi n°1737 déposé le mercredi 6 mars 2019 portant création d’une taxe sur les services numériques et modification de la trajectoire de baisse de l’impôt sur les sociétés.

[3] Article 299 du code général des impôts, dans sa version en vigueur du 26 juillet 2019 au 18 août 2022.

[4] La taxe sur les services numériques est aujourd’hui codifiée aux articles L 453-45 à L 453-83 du code des impositions sur les biens et services.

[5] BOI-TCA-TSN-20 §140

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