Opérations d’apport-cession : appréciation du quantum de réinvestissement (pré-LFR 2012)

La CAA de Douai juge que, pour l’appréciation du taux et du délai de réinvestissement économique, il n’est pas possible de faire abstraction de la fraction du prix de cession des titres apportés qui aurait été placée sous séquestre.

Rappel

Pour les opérations d’apport-cession réalisées avant le 14 novembre 2012, le fait pour un contribuable de bénéficier d’un report ou d’un sursis d’imposition était susceptible d’être contesté sur le terrain de l’abus de droit (CE, 8 oct. 2010, n°313139 Bauchart, 301934 Bazire et 321361 Four pour l’ancien mécanisme de report d’imposition, et transposition au mécanisme de sursis d’imposition CE, 12 juillet 2012, n°327295, Berjot), lorsqu’en interposant une société qu’il contrôlait, l’opération avait pour seule finalité de permettre au contribuable de disposer effectivement des liquidités obtenues lors de la cession des titres (opérations dites d’ « apport-cession »).

L’abus de droit était, en revanche, écarté lorsque la société bénéficiaire contrôlée réinvestissait, de façon substantielle, le produit de la cession dans une activité économique.

Cette grille d’analyse a ensuite été partiellement légalisée par l’article 150-0 B ter du CGI, lequel a instauré un mécanisme de report automatique d’imposition en cas d’apport à une société contrôlée (maintien du report d’imposition en cas de réinvestissement dans un délai de 2 ans du produit de cession des titres apportés à hauteur d’au moins 60 % dans certaines activités opérationnelles).

L’histoire

Un contribuable a apporté, en mars 2012, l’intégralité des parts qu’il détenait dans une société opérationnelle, à une société qu’il contrôlait quasiment intégralement.

La plus-value réalisée à cette occasion a été placée de plein droit sous le régime de sursis d’imposition alors applicable (CGI, art. 150-0 B, dans sa rédaction antérieure à la LFR 2012).

Quelques mois plus tard, la société bénéficiaire de l’apport a cédé les titres de la société apportée.

Une moitié du prix de cession a été immédiatement réglée par virement bancaire, tandis que l’autre moitié a été mise sous séquestre auprès d’une banque, en exécution d’un engagement de garantie, et n’a été libérée complètement que fin mars 2016.

L’Administration a remis en cause, sur le terrain de l’abus de droit, le bénéfice du sursis d’imposition en l’absence de réinvestissement économique substantiel du produit de cession dans un bref délai (réinvestissement à hauteur de seulement 16,5 % en 2015).

La société a contesté le redressement devant le Comité de l’abus de droit fiscal, qui s’est rangé à l’avis de l’Administration (avis n°2017-35), puis devant les juridictions du fond.

La décision de la CAA de Douai

Devant la CAA de Douai, le contribuable contestait l’abus de droit en se prévalant de conditions spécifiques tenant à la mise sous séquestre d’une partie substantielle du produit de cession, qui aurait différé le réinvestissement économique requis (selon elle, près de 80 % du produit de cession aurait été réinvesti en 2017, c’est-à-dire après la libération des sommes séquestrées).

Il s’appuyait, en cela, sur l’approche pragmatique retenue à l’époque par le Conseil d’Etat, qui admettait alors de tenir compte, au cas par cas, de circonstances particulières extérieures à la volonté du contribuable (démarches de réinvestissement infructueuses, négociations interrompues après plusieurs mois, etc.) pour écarter l’abus de droit malgré l’absence de réinvestissement économique à bref délai (CE, 22 février 2013, n°335045 ou encore CE, 10 juillet 2019, n°411474).

La Cour écarte toutefois l’argument.

Elle rappelle d’abord que, pour apprécier si un produit de cession a fait l’objet, pour une part significative, d’un réinvestissement à caractère économique, il y a lieu de comparer les investissements réalisés à l’ensemble des sommes ayant bénéficié du mécanisme du sursis d’imposition (CE, 27 juin 2022, n°449656).

Elle juge ensuite qu’à cet égard, la mise sous séquestre d’une partie du produit de cession reste sans influence sur l’appréciation du taux de réinvestissement, et ne constitue pas une circonstance particulière à prendre en compte pour apprécier le « bref délai » dans lequel doit être réalisé le réinvestissement.

Si la décision a été rendue pour l’application de la législation antérieure à la LFR 2012, elle nous semble conserver tout son intérêt pour l’application des dispositions de l’article 150-0 B ter du CGI – d’autant plus que sous l’empire de la loi nouvelle, ni la doctrine administrative, ni le juge de l’impôt ne prévoient de dérogation à la condition de réinvestissement économique dans le délai de 2 ans.

  • CAA Douai, 2 mars 2023, n°21DA00978
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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.