Perte de change sur dividendes ouvrant droit au régime mère-fille

La CAA de Paris juge, de manière inédite nous semble-t-il, que si la perte de change ne constitue pas un élément du dividende devant être pris en compte pour déterminer le montant soustrait de l’assiette de l’IS en application du régime des sociétés mères, cette perte n’est elle-même déductible de l’assiette de l’impôt que dans la mesure où elle se rapporte à un produit lui-même effectivement taxé.

Rappel

Au plan comptable, les dividendes sont, en principe, inscrits en produits à recevoir à la date de l’assemblée ayant pris la décision de distribution.

Le juge de l’impôt en a tiré les conséquences au plan fiscal, en considérant qu’un dividende constitue une créance acquise à la date de l’assemblée ayant décidé de la distribution (CAA Lyon, 11 février 2014 n°12LY02778 ; CAA Paris, 27 juin 2017, n°15PA04635, Sté Sparkling Capital, ayant donné lieu à une décision de non-admission, CE (na), 16 mai 2018, n°412801, Sté Sparkling Capital).

Dans une instruction non reprise au BOFiP, l’Administration autorisait toutefois la prise en compte des dividendes dans les résultats imposables de la société qui les perçoit, à la date de leur mise en paiement (BODGI 4 K-1-83).

Rappelons, par ailleurs, que les écarts de change des créances et dettes libellées en monnaies étrangères doivent être pris en compte pour la détermination du résultat imposable (CGI, art. 38, 4).

L’histoire

En octobre 2013, une société française soumise à l’impôt sur les sociétés, décide dans le cadre de l’assemblée générale de sa filiale tchèque, la distribution d’un dividende à son profit. Dès le lendemain, la société mère comptabilise en produit à recevoir, l’équivalent en euros des dividendes décidés en couronnes tchèques.

Moins d’un mois plus tard, la société française perçoit les dividendes pour un montant en euros inférieur à celui précédemment comptabilisé, en raison de la dépréciation de la couronne tchèque par rapport à l’euro.

Dans le cadre de la détermination de son résultat fiscal au titre de l’exercice 2013, la société a entendu bénéficier du régime mère-fille et a déduit de son résultat imposable le produit à recevoir comptabilisé, minoré d’une QPFC de 5 % calculée sur ce montant. De ce fait, elle a déduit l’intégralité de la perte de change constatée.

A l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause le montant déduit, au motif que la QPFC devait s’appliquer à la somme effectivement perçue. Elle a, par conséquent, réintégré dans le résultat imposable une somme égale à 95 % de la perte de change constatée.

La décision de la CAA de Paris

Sur la date d’enregistrement des dividendes

La Cour rappelle que « contrairement à ce que soutient l’Administration », les dividendes ouvrant droit au régime mère-fille constituent un produit taxable au titre de l’exercice au cours duquel la décision de distribution intervient, quand bien même ils ne sont effectivement « touchés » que postérieurement.

Cette position, défendue par plusieurs CAA au cours des dernières années (voir notamment CAA Paris, 27 juin 2017, n°15PA04635, Sté Sparkling Capital, précitée), mériterait d’être formellement confirmée par le Conseil d’Etat afin de mettre fin aux débats.

Sur les modalités de prise en compte de la perte de change

La CAA de Paris analyse le régime mère-fille et la perte de change de manière décomposée.

Ainsi, dans un premier temps, elle indique que la portion du dividende exclu du résultat fiscal, ainsi que le calcul de la QPFC de 5 %, doivent être déterminés sur le montant du dividende net de la perte de change supportée.

Puis, la CAA juge que si la perte de change ne constitue pas un élément du dividende devant être pris en compte pour déterminer le montant à soustraire de l’assiette imposable en application du régime des sociétés mères, cette perte n’est elle-même déductible de l’assiette imposable que dans la mesure où elle se rapporte à un produit lui-même effectivement taxé au titre du même exercice.

En d’autres termes, la perte de change afférente à des dividendes ouvrant droit au régime mère-fille et donc taxés à hauteur de 5 % de leur montant, sera uniquement déductible de l’assiette de l’IS à hauteur de 5 %.

En l’espèce, la Cour valide donc la méthode de calcul retenue par l’Administration (réintégration de 95 % de la perte de change).

La confirmation du Conseil d’Etat sera bienvenue s’il est saisi du sujet.

On observera que la position de la Cour semble en cohérence avec celle de la CAA de Versailles, qui a jugé que les gains ou pertes de change associés à la cession d’un élément d’actif, constituent une composante de la plus ou moins-value réalisée, devant être pris en compte pour la détermination du résultat imposable (CAA Versailles, 19 décembre 2019, n°17VE01521, Sté Securitas France Holding  ; voir également CE, 13 septembre 2021, n°443914 – décision relative au gain de change réalisé par une personne physique à l’occasion d’une cession de titres). Pour le juge administratif, la perte ou le gain de change suit donc le même traitement que le sous-jacent.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.

Agathe Saint Joanis

Agathe Saint Joanis a intégré Deloitte Société d’Avocats en 2019. Elle y a rejoint l’équipe du Comité Scientifique Fiscal.