La CAA de Versailles apporte, dans deux décisions récentes, des précisions concernant les délais de réclamation dont peut se prévaloir la société mère d’un groupe intégré dont les résultats propres sont rectifiés.
Les deux décisions soumises portent sur la question de l’application des délais de réclamation (spécial et général) dans le contexte particulier de l’intégration fiscale. Les angles d’approche de cette question sont sommes toutes différents selon l’affaire, mais le raisonnement mérite d’être appréhendé dans son ensemble : les spécificités de l’intégration fiscale créent un degré de difficulté supplémentaire qui vise à articuler (i) le rôle de la société mère redevable de l’impôt groupe et titulaire du droit d’agir avec (ii) celui des sociétés intégrées faisant l’objet des procédures de rectification.
Pour mémoire, la décision Steria (CJUE 2 septembre 2015, aff. C-386/14, Groupe Steria SCA) a ouvert la voie des réclamations contentieuses aux sociétés têtes de groupes intégrés afin d’obtenir la déduction de la QPFC afférente aux dividendes intra-groupes incluse dans le résultat d’ensemble.
Selon le délai général de réclamation (art. R 196-1, a et b du LPF), les réclamations peuvent être présentées par le contribuable jusqu’au 31 décembre de la 2e année suivant celle, selon le cas :
- de la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d’un avis de mise en recouvrement
- du versement de l’impôt contesté si cet impôt n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle ou à la notification d’un avis de mise en recouvrement
- de la réalisation de l’évènement qui motive la réclamation
D’un autre côté, en application du délai spécial de réclamation (article R. 196-3 du LPF), le contribuable qui a fait l’objet d’une procédure de reprise ou de rectification de la part de l’administration fiscale, dispose d’un délai égal à celui de l’Administration pour présenter ses propres réclamations.
A la lumière de ces deux textes, il s’agissait donc de savoir de quel délai de réclamation pouvait se prévaloir une société tête d’intégration fiscale dont les résultats propres avaient été préalablement rectifiés pour se prévaloir de la décision Steria et obtenir la déduction de la QPFC afférente aux dividendes intra-groupes incluse dans le résultat d’ensemble ?
Dans la 1re décision (CAA Versailles 3 décembre 2019, n° 18VE00849, Sté Vicat), la société mère intégrante a acquitté l’IS relatif à la QPFC sur les dividendes reçus en 2010 par une société membre de l’intégration fiscale en provenance d’une de ses filiales italiennes. En 2013, la société mère intégrante fait l’objet d’une proposition de rectification au titre de ses résultats propres 2010 et 2011. En décembre 2016, elle se prévaut donc du bénéfice du délai spécial de réclamation pour déposer une réclamation Steria au titre de l’IS acquitté sur la QPFC afférente aux dividendes 2010 perçus par sa filiale membre de l’intégration fiscale. Dans ces circonstances, la Cour juge qu’une société mère ne peut, dans le délai spécial de réclamation de l’article R 196-3 du LPF contester les impositions afférentes aux bénéfices d’une société membre du groupe d’intégration fiscale dès lors que cette dernière n’a fait, elle-même, l’objet d’aucune procédure de rectification. En d’autres termes, selon la CAA, le fait que la société mère fasse l’objet d’une procédure de reprise à raison de ses résultats propres, et donc sans lien avec les résultats individuels de sa filiale intégrée, ne lui donne pas le droit de contester les impositions primitives relatives au résultat de cette filiale. Pour autant, la Cour admet que la société mère dispose, en tant que redevable unique des impositions du groupe, de la qualité pour contester, dans ce délai spécial, les impositions primitives et supplémentaires découlant des résultats d’une filiale intégrée qui a fait l’objet d’une procédure de reprise.
Il nous semble que la solution de la CAA aurait été différente si la proposition de rectification adressée à la société mère avait porté sur les mécanismes de retraitements du résultat d’ensemble. L’interrogation demeure à ce stade.
Dans la 2e affaire (CAA Versailles, 19 novembre 2019 n° 18VE01276, min. c/ Sté Accor), la société mère intégrante s’est vue notifier en 2011 une proposition de rectification portant sur ses résultats propres de l’exercice 2008. Les impositions correspondantes ont été mises en recouvrement dans le cadre d’un avis notifié en 2014. En 2015, la société mère dépose une réclamation Steria au titre de la QPFC relative aux dividendes qu’elle a reçus au cours des exercices 2008 à 2010 de ses filiales établies dans l’UE. En l’espèce, l’application du délai spécial n’était pas contestée : l’Administration a fait droit à la demande de la société mère pour les exercices 2009 et 2010. Le litige portait davantage sur les règles de computation du délai spécial de l’article R. 196-3 du LPF, soit sur les dividendes reçus au cours de l’exercice 2008. À cet égard, la Cour confirme que le délai spécial de réclamation commence à bien courir à compter de la proposition de rectification et n’est pas réouvert par l’avis de mise en recouvrement faisant suite à la proposition de rectification. Dès lors que la proposition de rectification avait été notifiée à la société mère en 2011, cette dernière avait jusqu’au 31 décembre 2014 pour déposer une réclamation en vue d’obtenir la neutralisation de la QPFC afférente aux dividendes perçus en 2008 – i.e. eu égard à l’avis de mise en recouvrement émis en 2014. La réclamation déposée en 2015 au titre de l’exercice 2008 était donc tardive.
Enfin, la CAA juge dans ces deux arrêts que, le délai général de réclamation ne peut s’appliquer que pour contester les impositions supplémentaires (par opposition aux impositions primitives dont la société s’est spontanément acquittée) mises en recouvrement à la suite de la procédure de rectification.
Ces deux décisions semblent faire l’objet d’un pourvoi en cassation. Par conséquent, le Conseil d’État devrait, à son tour, être prochainement amené à se prononcer sur l’application du délai général et du délai spécial de réclamation dans le contexte de l’intégration fiscale.
- CAA Versailles, 19 novembre 2019 n° 18VE01276, min. c/ Sté Accor