Prélèvement de l’art. 244 bis du CGI : Précisions sur la notion de « marchand de biens » et assimilés

Dans le cadre de l’application du prélèvement de l’article 244 bis du CGI, la CAA de Toulouse rappelle les contours de la notion de « marchands de bien », retenue en l’espèce, et précise que l’enregistrement postérieur des biens immobiliers en immobilisations plutôt qu’en stocks, ainsi que la comptabilisation des cessions en opérations exceptionnelles, ne sont pas de nature à remettre en cause cette qualification (i.e. pas de remise en cause de la condition tenant à l’intention spéculative).

Rappel

244 bis du CGI

Les profits réalisés par les personnes morales passibles de l’IS et provenant de la cession d’immeubles construits ou habituellement achetés en vue de la vente sont soumis à cet impôt. Ils sont donc déterminés selon les règles de droit commun des BIC (CGI, art. 35).

Ces immeubles, construits ou habituellement achetés en vue de leur vente, constituent, du point de vue fiscal, un stock immobilier.

Lorsque ces profits sont réalisés par des sociétés qui n’ont pas d’ES en France, ils sont soumis au prélèvement dont le taux est fixé à l’article 244 bis du CGI (BOI-BIC-CHAMP-20-50, 12/09/2012, n°110 à 130 et BOI-BIC-CHAMP-20-10-40, 29/06/2022 n°240 et s.).

Pour les sociétés passibles de l’IS, le prélèvement s’impute sur le montant de l’IS dû par le cédant au titre de l’année de réalisation des profits, l’excédent leur étant restitué dès lors qu’elles sont résidentes d’un État de l’UE ou d’un État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative en matière d’échange de renseignements et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et n’étant pas non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI (BOI-IS-RICI-30-20-29/06/2022 n°80 et 90 et BOI-BIC-CHAMP-20-10-40, 29/06/2022, n°370 et s.).

Afin d’appliquer les dispositions des articles 35 et 244 bis du CGI, l’administration fiscale doit cumulativement prouver (BOI-BIC-CHAMP-20-10-10 n°20 et s.) :

  • L’intention spéculative du cédant – appréciée à la date d’acquisition des immeubles ultérieurement revendus ; et
  • Le caractère habituel – apprécié selon le nombre d’opérations réalisées et leur fréquence.

244 bis A du CGI

Sous réserve des conventions internationales, les plus-values immobilières réalisées à titre occasionnel par des non-résidents sont soumises à un prélèvement spécifique (CGI, art. 244 bis A), dont le taux varie en fonction de la qualité du cédant et de sa résidence fiscale.

Le prélèvement prévu à l’article 244 bis A du CGI n’est pas libératoire de l’impôt.

Il vient toutefois s’imputer sur le montant de l’IS dû en France, au titre de l’exercice fiscal de réalisation de la plus-value, par la personne morale non-résidente, à raison de l’ensemble des produits dont l’imposition est réservée à la France par les conventions fiscales internationales.

Si ce prélèvement est supérieur à l’IS dû, l’excédent est restitué aux seules sociétés résidentes d’un État membre de l’UE ou d’un autre État ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d’assistance administrative en matière d’échange de renseignement et de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et n’étant pas non coopératif au sens de l’article 238-0 A du CGI (CGI, art. 244 bis A, V et BOI-RFPI-PVINR-40-29/06/2022 n°30).

L’histoire

En août 2007, une société danoise, ayant pour objet le négoce de biens immobiliers, a acquis un bien immobilier en France. Elle a ensuite divisé ce bien en plusieurs lots et a procédé à 2 cessions en décembre 2014, ainsi qu’à une 3e cession en 2016.

En tant que société étrangère n’ayant pas d’ES en France, elle a payé un prélèvement de 33,1/3%, sur la base des profits réalisés lors de ces cessions, sur le fondement des dispositions de l’article 244 bis A du CGI.

Elle a également déposé une déclaration de résultats en France au titre de l’exercice clos en 2014, faisant apparaître un résultat fiscal positif et un IS à acquitter.

Par la suite, estimant que le prélèvement acquitté sur les 2 cessions immobilières, au titre du même exercice, s’imputait sur l’IS dû, elle a présenté, en application des dispositions de l’article 244 bis A du CGI, une demande de remboursement à hauteur de la différence entre le montant du prélèvement et celui de l’IS. Confrontée au rejet de l’Administration, la société danoise a saisi les juridictions.

La décision de la CAA

Afin de trancher sur les dispositions applicables (art. 244 bis A versus art. 244 bis du CGI) et donc sur la qualification de « marchand de bien » de la société danoise, la Cour relève :

Sur l’intention spéculative (1) :

  • la société danoise avait bénéficié du régime spécial des achats effectués en vue de la revente, permettant une exonération des droits et taxes de mutation (CGI, art. 1115) et s’engageait à revendre le bien acquis dans les 12 mois suivant son acquisition ;
  • la société danoise avait été immatriculée en octobre 2006 au RCS danois avec un objet consistant à « mener des activités d’investissements financiers, incluant d’une façon non exhaustive l’achat, la possession, la location, la gestion et la vente de biens immobiliers».

Par conséquent, la Cour considère que la requérante a procédé à l’acquisition du bien en cause dans une intention spéculative. Elle estime que les circonstances que le bien en cause ait été inscrit postérieurement dans sa comptabilité comme une immobilisation et non comme un stock et que les cessions ont ensuite été comptabilisées comme des opérations exceptionnelles ne sont pas de nature à remettre en cause l’appréciation de cette intention.

Sur le caractère habituel (2) :

La Cour souligne que la société a divisé le bien immobilier en 7 lots en novembre 2014, après avoir obtenu, en août 2013, le permis de construire nécessaire. Les 2 ventes de 2014 concernaient 4 de ces 7 lots. La société a, de plus, réalisé, sous le régime de marchand de biens, une 3ème vente en décembre 2016, pour des parcelles similaires.

Dans ce contexte, elle considère que les cessions réalisées en 2014, alors même qu’elles sont intervenues plusieurs années après l’acquisition du bien correspondant, avaient un caractère habituel.

Rappelons d’ailleurs que la doctrine administrative précise que si le cédant est un professionnel du commerce des biens ou de la promotion immobilière (marchand de biens, promoteur-constructeur, société de construction-vente), il est évident que la notion d’habitude est sous-jacente à la profession exercée ou à l’objet social défini dans les statuts (BOI-BIC-CHAMP-20-10-10-04/01/2017 n°30).

Les deux conditions étant considérées comme réunies (intention spéculative et caractère habituel), la Cour en conclut que la société danoise, qui n’avait pourtant acquis qu’un seul immeuble en France, se livrait à une activité de marchand de biens entrant dans le champ des dispositions de l’article 35 du CGI. Dès lors, les profits réalisés à l’occasion des cessions de 2014 relevaient du prélèvement de l’article 244 bis du CGI (cette société n’ayant aucun ES en France) et non des dispositions de l’article 244 bis A du CGI, comme elle le soutenait.

Elle juge ainsi que la société requérante doit être regardée comme ayant eu une activité commerciale et donc lucrative, la rendant passible de l’IS en France. Dès lors qu’elle est résidente d’un Etat de l’UE et alors même qu’elle a bénéficié d’un dégrèvement d’IS mis à sa charge au titre de l’exercice 2014, elle estime que cette dernière est en droit de demander la restitution de cet excédent sur le fondement de l’article 244 bis du CGI.

La CAA de Toulouse annule le jugement du TA de Montpellier en conséquence.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]