Principe de non-immixtion de l’Administration dans la gestion des entreprises : nouvelle illustration jurisprudentielle

Le TA de Nîmes juge que l’Administration ne saurait remettre en cause le choix d’une société de privilégier une augmentation de capital, plutôt qu’une avance en compte-courant dans le cadre d’une opération de financement, sur le terrain de l’acte anormal de gestion.

Rappel

Pour mémoire, l’Administration ne peut pas remettre en cause le choix des moyens employés par une entreprise pour réaliser une opération économiquement justifiée et conforme à son objet social.

Pour autant, ce principe de non-immixtion de l’Administration dans la gestion des entreprises ne s’oppose pas à ce qu’elle puisse remettre en cause, sur le terrain de l’acte anormal de gestion, les dépenses engagées dans l’intérêt d’un tiers ou dont la contrepartie est insuffisante pour l’entreprise.

Rappelons, en revanche, que la circonstance qu’une opération, qui n’est pas contraire ou étrangère aux intérêts d’une entreprise, puisse comporter un avantage éventuel pour un tiers ne suffit pas à lui donner un caractère anormal (voir aussi CE, 10 juillet 1992, n°110213 et 110214 Sté Musel SBP et Brunner).

L’histoire

Une société holding détenait l’usufruit de 99 % du capital d’une SCI, propriétaire du terrain et des murs d’un hypermarché (lequel était exploité par une autre filiale de la société holding).

En 2010, la SCI a décidé de procéder à une augmentation de son capital, pour financer un projet d’extension de cet hypermarché, augmentation de capital à laquelle la holding a souscrit.

L’usufruit temporaire de la totalité des parts émises à cette occasion, d’une durée de 16 ans, a été évalué à 94 % de leur valeur en pleine propriété.

La holding a pratiqué un amortissement linéaire de ce montant sur la durée de l’usufruit.

L’Administration a remis en cause les amortissements ainsi pratiqués par la holding au cours des exercices 2015 à 2016, estimant qu’elle s’était livrée à une gestion anormale à l’occasion de l’augmentation du capital de la SCI.

Elle faisait notamment valoir, à cet égard que :

  • Même sans cette opération, la holding aurait perçu de sa filiale les mêmes bénéfices, sans se déposséder du prix de sa souscription, au demeurant « largement surestimé » ;
  • Plutôt que de souscrire à hauteur de 94 % de leur valeur, l’usufruit temporaire sur 16 ans, la société aurait pu, pour 6 % de plus, souscrire la pleine propriété des parts ;
  • L’opération litigieuse aurait eu pour objectif de favoriser, au détriment de la holding, le nu‑propriétaire de la SCI (appartenant au même groupe familial que les associés de la holding) ;
  • Quelques années plus tard, la holding aurait favorisé ce même nu-propriétaire, lors de la cession d’un terrain par la SCI, par le biais d’une clause spéciale de répartition de la PV réalisée à cette occasion en sa faveur.

Le TA de Montreuil écarte un à un les arguments soulevés par l’Administration et juge que :

  • Sauf à s’immiscer dans la gestion de la holding, laquelle disposait pleinement de la liberté de choisir entre le maintien d’un apport en compte courant ou l’incorporation de ce compte courant au capital de la SCI, l’Administration ne pouvait critiquer, en tant que tel, le choix financier de la société ;
  • Le choix de la société de souscrire à l’usufruit temporaire sur 16 ans, plutôt que la pleine propriété des parts, relève également de la libre détermination de l’entreprise, laquelle détient seule la faculté de déterminer le quantum de sa participation dans une autre société, dès lors que ce choix ne se traduit pas par un appauvrissement et n’est pas contraire ou étranger à ses intérêts ;
  • S’agissant de la surestimation du prix de la souscription, le Tribunal, à l’issue d’une analyse circonstanciée, juge que même si la méthode d’évaluation retenue par la société ne fait pas partie de celles généralement préconisées dans les techniques de valorisation, l’Administration ne démontre pas pour autant que la holding aurait, ce faisant, effectué un acte anormal de gestion ;
  • La seule circonstance qu’une opération puisse comporter un avantage éventuel pour un tiers ne suffit pas à lui donner un caractère anormal, dès lors qu’elle n’est pas contraire ou étrangère aux intérêts de la société ;
  • Une opération même anormale, postérieure et étrangère à l’augmentation de capital litigieuse ne peut être prise en compte pour apprécier son caractère normal ou anormal.
  • TA Nîmes, 17 février 2023, n°2023794, SA Titan
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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.