En bref
Ce projet d’ordonnance vise à clarifier et simplifier le régime des nullités en droit des sociétés, considéré complexe et incohérent. L’objectif est de renforcer la sécurité juridique des constitutions de société, des actes, délibérations et règles associées.
Adoption rapide
Projet technique, peu politisé, il avance rapidement : le gouvernement dispose de 9 mois depuis la loi attractivité pour finaliser l’ordonnance (date butoir 13 mars 2025).
Changements proposés
L’ordonnance codifie un droit commun des nullités dans le Code civil, étend le régime restrictif à toutes les sociétés selon le droit européen, remplace la nullité des « actes et délibérations » par celle des « décisions sociales », introduit une nullité pour violation des statuts (SAS), cantonne les effets du régime des nullités (prescription réduite, nullité facultative soumis à un triple critère, pour prononcer la nullité, encadrement de la rétroactivité) et règles propres aux nullités des augmentations de capital.
Cette réforme, dans la mesure où elle sera validée, aura d’importantes conséquences pratiques et théoriques, débordant potentiellement le seul cadre du droit des sociétés.
L’article 26 de la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024, dite loi « Attractivité », habilite le Gouvernement à simplifier et clarifier le régime des nullités en droit des sociétés par voie d’ordonnance. Cette ordonnance est attendue dans un délai de neuf mois à compter de la promulgation de la loi d’habilitation, soit avant le 13 mars 2025.
Dans ce cadre, un projet d’ordonnance est publié par la Chancellerie. Il s’appuie sur les conclusions d’un rapport du 27 mars 2020 du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris, sollicité par le ministère de la justice, ainsi que sur les recommandations formulées le 1er juillet 2024 par le Conseil d’État.
L’objectif annoncé est de renforcer la « sécurité juridique ». Il s’opère au travers de deux grandes propositions : clarifier les nullités en droit des sociétés et cantonner le risque de nullité.
La clarification des nullités
Inscription du droit commun des nullités de sociétés dans le Code civil
Droit positif
Il existe une dualité de textes, les articles 1844-10 et s. du Code civil et les articles L. 235-1 et suivants du code de commerce, intéressant, eux, les seules sociétés commerciales.
Problématique
La cohabitation de ces deux textes, source de complexité inutile, n’est pas nécessairement aisée.
L’on retrouve des règles formulées de manière identique dans le Code civil et dans le code de commerce, ce qui n’a pas de sens puisque les dispositions du Code civil s’appliquent aux sociétés commerciales, dès lors qu’il n’y est pas fait exception par des règles spéciales.
Projet
Proposition de suppression des dispositions de portée générale des articles L. 235-1 et suivants du code de commerce.
Commentaire
Cette suppression permettrait aux nullités en droit des sociétés d’être régies par un seul dispositif relevant du droit commun des sociétés ainsi qu’une meilleure lisibilité des règles applicables aux nullités en droit des sociétés en redonnant au dispositif des articles 1844-10 et suivants du Code civil sa fonction de droit commun.
Point d’attention
Maintien toutefois des dispositions dérogatoires au droit commun (règles spéciales) applicables en matière de fusions et de scissions de sociétés commerciales (articles L. 235-8 et L. 235-9 al. 2 C. com) et d’augmentations de capital de sociétés par actions (article L. 235-9 al. 3 C. com.). Par ailleurs, dès lors qu’une disposition du code de commerce est exigée « à peine de nullité » il faudra également combiner les deux sources Code civil/code du commerce.
Mise en conformité des nullités des sociétés avec le droit de l’Union européenne
Droit positif
En l’état, le droit français des nullités n’est pas entièrement harmonisé avec le droit de l’UE, issu de la directive 2017/1132 du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés. Cette directive s’applique exclusivement aux SA et SARL tout en restreignant à trois les cas de nullités.
Projet
Propositions d’étendre le régime restrictif des nullités de sociétés prévues par la directive à toutes les formes sociales.
Commentaire
Le résultat est obtenu en inscrivant le siège du principe des nullités des sociétés dans le code civil (disposition applicable au contrat de société). Cela permettrait d’étendre le dispositif restrictif de la directive, actuellement applicable aux seules sociétés à risque limité, aux sociétés à risque illimité (donc en ce compris les sociétés civiles).
La clarification de la nullité des décisions sociales
La notion « d’actes et délibérations »
Droit positif
Actuellement, les articles 1844-10 du Code civil et L. 235-1 du Code de commerce reposent sur la notion « d’actes et délibération sociale ».
Problématique
Cette notion se révèle difficile à saisir et n’est pas toujours adaptée au fonctionnement des sociétés. Elle fait notamment peser une incertitude sur la portée du régime des nullités : elle semble exclure les décisions des assemblées d’obligataires et inclure les engagements pris par la société avec les tiers.
La notion de « délibérations » renvoie aux décisions prises par les organes collectifs de la société (assemblée d’associés, conseil d’administration, etc.). Le terme renvoi également, selon la jurisprudence, aux consultations écrites et aux décisions individuelles alors qu’aucune délibération ne s’est déroulée. En revanche, la doctrine continue de s’interroger sur la question de savoir si les décisions prises par d’autres organes collectifs, tels que les comités consultatifs ou les assemblées d’obligataires, relèvent ou non de cette notion.
S’agissant des « actes », le terme est trompeur puisqu’il ne vise en aucun cas les contrats conclus par la société, dont la validité reste soumise aux règles du droit commun des contrats, sauf exception.
Projet
Proposition de nouvelle terminologie en substituant la notion de « décisions sociales » à l’expression « actes et délibérations ».
Commentaire
Cette modification de vocabulaire permettrait d’exclure du domaine des nullités sociales les actes internes non décisionnels ainsi que les actes externes à la société. Toutefois, cette nouvelle notion résout-elle toutes les difficultés d’interprétation ?
S’agissant des décisions des assemblées d’obligataires, on peut raisonnablement douter qu’elles aient un caractère « social », dans la mesure où elles n’émanent pas d’organes de la société.
Point d’attention
En ne proposant pas d’inscrire dans la loi une définition de ce que sont les « décisions sociales », il est peu crédible d’y voir une simplification, encore moins une amélioration de la prévisibilité.
Le critère de « localisation »
Droit positif
Actuellement, les causes de nullité des actes et délibérations (sauf exceptions) sont en partie délimitées en fonction d’un critère de localisation du siège de la règle transgressée, laquelle se trouve soit dans le Livre II du Code de commerce, soit dans le Titre IX du Livre III du Code civil.
Problématique
Ce critère de localisation est peu réaliste notamment parce qu’il occulte le fait que le droit des sociétés ne s’est pas développé exclusivement dans le cadre de ce seul titre ou de ce livre.
Le droit des sociétés n’a cessé de s’inscrire au-delà des codes civils et commercial, ci-dessus évoqués. La sanction de la nullité n’est donc pas, en principe, applicable à des règles prévues par d’autres codes ou des lois non codifiées. Afin de pallier cette difficulté, le législateur est amené à édicter des cas spéciaux de nullité, indiqués expressis verbis, ce qui créée nécessairement des difficultés d’articulation avec le système des nullités du droit des sociétés. La jurisprudence s’affranchit d’ailleurs parfois du critère de localisation (affaire Cointreau notamment, admettant la nullité d’une délibération du CA, sanction du défaut d’information d’un administrateur).
Projet
Proposition de suppression de la règle de localisation de la règle transgressée au profit de la référence au « droit des sociétés ».
Commentaire
L’abandon du critère doit toutefois s’accompagner d’un cantonnement à peine d’ouvrir de manière déraisonnable le champ des nullités. Les règles transgressées devraient donc nécessairement relever soit du droit des contrats, soit du droit des sociétés, lequel est composé des règles relatives aux droits et obligations des associés, à l’organisation et au fonctionnement de la société, à l’émission, au rachat et à l’annulation de parts ou titres par une société, ainsi qu’à la modification des statuts.
La notion d’intérêt social
Droit positif
Actuellement, l’article 1844-10 du Code civil exclu expressément toute possibilité d’annulation fondée sur la violation de l’alinéa 2 de l’article 1833 (objet social élargi à la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux).
Problématique
L’exclusion de l’article 1833 procède, selon la Chancellerie, d’une confusion du législateur qui entendait protéger l’intérêt des tiers contractants, et se révèle susceptible de perturber le contrôle prétorien de l’abus de majorité, qui repose partiellement sur la contrariété à l’intérêt social ; enfin, cela introduit des éléments de perturbation avec le contrôle de proportionnalité du nouvel article 1844-12-1 et du contrôle des nullités en cascade du nouvel article 1844-15-1.
Projet
Proposition de suppression de l’exception tirée de la violation de l’intérêt social.
Point d’attention
Une telle suppression comporte un fort risque d’augmentation du contentieux tant la détermination des « enjeux sociaux et environnementaux » est imprécise et sujette à interprétation subjective.
La nullité pour violation de statuts
Droit positif
Actuellement, l’article L. 235-1 du Code de commerce, ne sanctionne que la violation de dispositions légales, impératives ou expresses, excluant la violation de dispositions statutaires.
Problématique
Le dispositif actuel des nullités semble peu adapté aux sociétés régies essentiellement par la liberté contractuelle.
Projet
Proposition d’un dispositif de nullité pour violation des statuts pour les SAS. L’ordonnance propose une option :
- Une disposition à portée générale autorisant les statuts à prévoir la nullité des règles statutaire,
- Une disposition prévoyant la nullité pour violation des seules dispositions statutaires identifiées par la loi.
Commentaire
L’idée selon laquelle la violation d’une disposition impérative des statuts pourrait être génératrice de nullités au même titre que la violation de la loi interroge. Pour certains auteurs, cette solution ne paraît pas conforme à ce qu’est la nullité et au pouvoir du juge en droit des sociétés. La nullité est une réaction du droit à la violation des conditions de formation du contrat et il n’appartient pas aux parties de définir ce que sont les conditions de formation de leurs décisions.
Plusieurs questions vont se poser. Le législateur doit-il donner aux juges une autorisation générale de procéder à l’annulation ? Ne faut-il pas cantonner ce pouvoir à des atteintes spécifiques aux dispositions statutaires ? A l’heure de la rédaction des statuts, ne doit-on pas seulement envisager de désigner parmi les clauses celles-là seules qui seront sanctionnées par la nullité ?
Aussi, la logique devrait conduire à prévoir un dispositif spécial pour chacune des sociétés régies par la liberté contractuelle (SAS, SNC, SCS et sociétés civiles), sans se limiter qu’aux SAS.
Le cantonnement des nullités
La prescription de l’action en nullité
Droit positif
Actuellement, le droit des sociétés prévoit des règles spéciales en matière de prescription des actions en nullité. Ces actions sont ainsi soumises à un délai de prescription de trois ans ; le délai est abrégé à six mois en matière de fusions et de scissions et à trois mois s’agissant de certaines nullités d’augmentations de capital réalisées dans les sociétés par actions.
Projet
Proposition de réduire le délai de prescription de droit commun des sociétés à deux ans et de modifier le point de départ du délai en matière de nullité d’une augmentation de capital.
Commentaire
Cette réduction du délai permettrait d’écarter plus rapidement tout risque de nullité d’une décision sociale, tout en laissant le temps aux intéressés d’agir en justice. Le risque de nullité étant souvent découvert lors de l’assemblée générale suivante, ce raccourcissement laisserait le temps aux sociétés de réagir et de régulariser la cause de nullité.
Le cantonnement du prononcé des nullités
Droit positif
Actuellement, dès lors que le caractère facultatif de la nullité n’est pas prévu par la loi, le juge ne dispose d’aucune liberté d’appréciation et doit prononcer la nullité.
Problématique
La sanction de la nullité peut, selon les circonstances, sembler disproportionnée eu égard à la règle transgressée.
Ce risque de nullité automatique place les sociétés dans des situations très inconfortables au regard de la sécurité juridique. En outre, dans certaines hypothèses, la nullité, bien que prononcée, ne pourra pas produire d’effet (principe de réalisme). C’est notamment le cas en matière de nullité des augmentations de capital des sociétés cotées (impossibles à concevoir en pratique).
Projet
Proposition d’introduire dans un nouvel article 1844-12-1 du Code civil un dispositif tendant à soumettre chaque action en nullité à un l’appréciation par le juge de trois critères cumulatifs :
- Exigence d’un « grief résultant d’une atteinte à l’intérêt protégé par la règle dont la violation est invoquée » ;
- Exigence d’une irrégularité « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » (critère jurisprudentiel actuel) ;
- Contrôle de proportionnalité entre la gravité de l’irrégularité et les conséquences pour la société au jour où le juge statue.
Une révision des nullités textuelles figurant au Code de commerce est également opérée, aux fins de déterminer si elles doivent, de façon dérogatoire, être déclarée impérative et échapper au « triple test ».
Commentaire
Ce mécanisme permettrait au juge d’apprécier in concreto l’opportunité ou non de prononcer la nullité de la décision sociale.
Le premier critère est déjà réalisé en pratique en jurisprudence (via le contrôle de « l’intérêt légitime » et via le contrôle du « grief »). Le second critère est également mis en œuvre par la jurisprudence et est prévu dans le Code des sociétés et des associations belges, ainsi que dans la loi sur les sociétés du Luxembourg. Enfin, le troisième critère est un contrôle d’opportunité. Il s’agit de la généralisation de la logique du dispositif de cantonnement prévu en matière de fusion transfrontalière à l’article L. 236-44 du code de commerce.
Le cantonnement des effets des nullités
Droit positif
Actuellement, la nullité d’une délibération emporte sa disparition rétroactive (sauf dispositions spéciales en ce qui concerne les nullités de sociétés ou en matière de fusions et de scissions des sociétés commerciales).
Problématique
La rétroactivité soulève de nombreuses questions lorsque la nullité anéantit les actes et délibérations de la société, faisant courir un risque de nullités en cascade.
Projet
Propositions alternatives
- Une disposition prévoyant que les irrégularités de désignation ou de composition n’entraînent pas la nullité des décisions subséquentes (i).
- Une disposition générale inspirée de la jurisprudence administrative qui autorise le juge à différer les effets de la nullité et par conséquent à la priver de son effet rétroactif (ii).
La nullité des augmentations de capital
Droit positif
Actuellement, les augmentations de capital sont susceptibles d’encourir la nullité pour violation de certaines dispositions du Code de commerce.
Problématique
La nullité des augmentations de capital est au cœur des préoccupations des acteurs, du fait des conséquences qui s’attachent à la bonne fin de l’opération, s’agissant en particulier de l’équilibre des pouvoirs au sein de l’actionnariat.
Projet
Soumission à la consultation de trois dispositifs :
- Écarter le texte en vigueur au profit d’un retour au droit commun résultant des décisions sociales, résultant du nouvel article 1844-10-2 du Code civil ;
- Sécuriser les augmentations de capital par une mesures de contrôle préventif (soumise à l’appréciation des acteurs) ;
- Paralyser l’action en nullité lorsque l’augmentation de capital a pris effet, et que les titres ont été émis.
Commentaire
Afin d’évaluer plus finement l’opportunité d’inscrire ce dispositif dans le projet d’ordonnance, il convient de le soumettre à la consultation afin de vérifier l’intérêt qui pourrait être manifesté par les praticiens.