Provisions pour dépréciation d’immobilisations : consécration de la connexion fiscalo-comptable !

Le Conseil d’État juge que la provision pour dépréciation d’un fonds de commerce n’est déductible du résultat fiscal que si elle est constituée conformément aux règles comptables, et donc s’il existe un écart significatif entre la valeur actuelle du fonds – définie comme la plus élevée de sa valeur vénale ou de sa valeur d’usage – et sa valeur nette comptable.

Rappel

Fiscalement, une provision ne saurait être déduite du résultat de l’exercice si elle n’a pas été effectivement constatée dans les écritures comptables à la clôture de l’exercice (CE, 24 janvier 1973, n°82034, Sté X.CE, 27 oct. 2022, n°461039, min. c/ SARL Dovre France).

Comptablement, il résulte de l’article 214-6 du PCG que la passation de l’écriture comptable correspondant à la dépréciation d’un élément d’actif est subordonnée à ce que la valeur actuelle de cet élément d’actif, valeur la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d’usage, soit devenue notablement inférieure à sa valeur nette comptable (VNC). En conséquence, au plan comptable, si la valeur d’usage reste au-dessus de la VNC, il n’y a pas lieu de constater une dépréciation de l’immobilisation au seul motif que sa valeur vénale aurait, en revanche, fortement diminué.

Selon le PCG, la valeur d’usage correspond à l’estimation des avantages économiques futurs attendus de l’utilisation de l’actif et de sa sortie, c’est-à-dire de la valeur actualisée des flux nets de trésorerie attendus de l’actif.

L’histoire

Une société de radiologues a fait l’objet d’une vérification de comptabilité, au titre des exercices 2013 et 2014, à l’issue de laquelle l’Administration a remis en cause la déduction de provisions pour dépréciation de son fonds de commerce dotées en 2011 et 2014.

A ce titre l’administration fiscale a, entre autres, mis en avant le fait que le chiffre d’affaires généré par le fonds était stable, que la valeur ajoutée demeurait constante à environ 72 % du chiffre d’affaires, que la société avait dégagé un bénéfice, avant déduction de la provision au titre des exercices clos en 2013 et en 2014, et que les distributions de bénéfices étaient récurrentes – faisant dès lors valoir que la valeur d’usage était supérieure tant à la valeur vénale qu’à la VNC.

La CAA de Bordeaux a jugé que la société justifiait du bien-fondé de ces provisions par le prix très faible (non contesté par le service) pour lequel des parts de la société avaient été cédées en 2008 et 2009, faiblesse notamment expliquée par la démographie médicale dans le département et le très faible nombre de candidats à la succession des associés de la société souhaitant la quitter pour prendre leur retraite. La Cour en ensuite a conclu qu’il convenait de constituer les provisions en litige pour tenir compte de la dépréciation correspondant à la différence entre la valeur comptable du fonds et sa « valeur probable de réalisation », et d’admettre la déduction fiscale.

Un pourvoi contre la décision est formé par l’Administration.

La décision

Le Conseil d’État juge qu’en se fondant, pour conclure à la déductibilité des provisions en cause, sur la seule valeur (vénale) des parts sociales de la société, la Cour a commis une erreur de droit.

Compte tenu des éléments que la CAA avait par ailleurs relevés et qui tendaient à remettre en cause la diminution de la valeur d’usage du fonds de commerce (i.e. stabilité du CA, récurrence des distributions de bénéfices, constance du niveau de la VA par rapport au CA et doublement, à la clôture de l’exercice clos en 2014, du bénéfice, avant déduction de la provision en litige), il lui reproche ainsi, de ne pas avoir recherché si :

Il était donc nécessaire pour la Cour d’examiner si, à la clôture de l’exercice, des éléments justifiaient bien la diminution de la valeur d’usage de ce fonds de commerce et non pas seulement de constater que sa valeur vénale était devenue inférieure à sa VNC.

En conséquence, le Conseil d’État annule et casse la décision de la CAA de Bordeaux et lui renvoie l’affaire.

On notera que le Conseil d’État retient ici une application conforme des règles comptables (PCG, art. 214-6) relatives à la dépréciation d’actif : la dépréciation d’une immobilisation ne peut être constatée que si sa VNC est significativement inférieure à sa valeur actuelle – i.e. la valeur la plus élevée entre la valeur vénale et la valeur d’usage.

Il reviendra désormais, au cas d’espèce, à la Cour de trancher sur cette valeur d’usage.

Notons, comme le souligne le rapporteur public sous la décision que : « […] la connexion fiscalo-comptable est étroite en matière de provisions, comme en témoignent tant l’exigence, pour qu’une provision soit fiscalement déductible, qu’elle ait été « effectivement constatée » dans les écritures de l’exercice, que l’obligation pour le contribuable ayant passé comptablement une provision régulière de procéder à sa déduction fiscale si les conditions de l’article 39-1-5° sont remplies (CE, Plénière, 23 décembre 2013, min. c/ Sté Foncière du Rond-Point, n°346018) […] ».  Le Conseil d’État continue, avec cette décision, dans la droite la lignée de cette jurisprudence.

Photo de Alice de Massiac
Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

Photo de Myriam Mouloudj
Myriam Mouloudj

Myriam, Avocate, possède une expérience de près de 15 ans en fiscalité. Arrivée chez Deloitte Société d’Avocats en 2006, elle réintègre le cabinet en 2019 pour rejoindre le Comité Scientifique […]