La CAA de Versailles juge, au cas d’espèce, que les indemnités versées par une société française à titre de « punitive damages » en exécution d’une décision de justice américaine, n’ont pas été infligées en contrariété avec la conception française de l’ordre public international, et sont donc non-déductibles de son résultat imposable.
Rappel
En application de l’article 39,2 du CGI, les sanctions pécuniaires et pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants à des obligations légales ne sont pas admises en déduction des bénéfices soumis à l’impôt.
Sont visées les sanctions pécuniaires et pénalités mises à la charge des contrevenants à des obligations légales quelle que soit leur nature : qu’il s’agisse d’obligations légales en matière de législation fiscale, douanière, sociale, du travail, de la concurrence et des prix (BOI-BIC-CHG-60-20-20 n° 30 et n° 40, 12-09-2012). Les majorations, amendes, confiscations et astreintes sont notamment identifiées dans ce cadre.
Histoire et rappel de la procédure
A la suite d’un litige commercial avec l’un de ses anciens fournisseurs américains, une société française s’est vue condamnée par le tribunal fédéral du Kansas, à verser des « punitive damages » à ce fournisseur. La charge correspondante a été déduite par la société française au titre de l’exercice 2011. À l’issue d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause cette déduction, considérant qu’il s’agissait de sanctions pécuniaires non déductibles fiscalement sur le fondement de l’article 39,2 du CGI.
La CAA de Versailles n’a cependant pas souscrit à cette analyse, et a considéré, en se fondant notamment sur les travaux parlementaires à l’origine des dispositions de l’article 39,2 du CGI, que ces « punitive damages » devaient s’analyser comme un complément d’indemnité accordé à la victime au regard des circonstances particulières dans lesquelles le dommage a été subi, notamment lorsque le gain retiré par l’auteur du fait dommageable excède le préjudice subi (CAA Versailles, 5 octobre 2021, n° 20VE00034).
Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi en cassation, est venu poser le principe selon lequel les dispositions de l’article 39,2 du CGI font obstacle « à la déduction de toute somme d’argent mise, aux fins de prévention et de répression, à la charge d’un contribuable qui a méconnu une obligation légale ».
Il en a conclu qu’en application de ces dispositions, n’est pas déductible la sanction pécuniaire prononcée par une autorité étrangère en raison de la méconnaissance d’une obligation légale étrangère, sauf si cette sanction a été prononcée en contrariété avec la conception française de l’ordre public international (CE, 8 décembre 2023, n° 458968).
L’affaire a été renvoyée devant la CAA de Versailles.
La décision de la CAA de Versailles (statuant sur renvoi après cassation)
Devant la CAA de Versailles, les débats se cristallisaient désormais uniquement sur le point de savoir si les « punitive damages » avaient ou non été infligés à la société française en contrariété avec la conception française de l’ordre public international.
La Cour répond ici par la négative :
- Sur le montant de l’indemnité infligée (absence de méconnaissance des principes de proportionnalité des peines et de droit au respect des biens) : Si le montant des « punitive damages » était substantiel, il tenait néanmoins compte de l’ampleur du préjudice subi et de la nature des manquements commis (violation de secrets industriels) et avait, de surcroît, été plafonné. Il importe peu, à cet égard, que la somme qui aurait pu être mise à la charge de la société en application des règles françaises et européennes à raison de manquements similaires aurait été moins élevée ;
- Sur le volet procédural (absence de méconnaissance des exigences d’un procès équitable et des droits de la défense) : Si, conformément aux règles procédurales du Texas, le litige a d’abord été examiné par un jury populaire, il a ensuite été soumis à des juges « professionnels », en 1re instance et en appel, dont la société n’établit pas qu’ils auraient été partiaux.
Rappelons que le juge judiciaire a déjà jugé, par le passé, que le principe d’une condamnation à des « punitive damages » n’est pas, en soi, contraire à l’ordre public, à moins que le montant alloué soit disproportionné au regard du préjudice subi et des manquements aux obligations contractuelles du débiteur (C. cass., 1er décembre 2010, n° 09-13.303).
On notera que la CAA de Versailles s’est ici livrée à une analyse circonstanciée des modalités de fixation et de prononcé de la sanction, avant d’écarter le grief tenant à une contrariété à la conception française de l’ordre public international des « punitive damages » en litige.
- CAA de Versailles, 25 septembre 2025, n° 23VE02737
