Qualification des revenus perçus dans le cadre d’une opération de « sale and lease-back » pour l’application de la convention franco-allemande

Selon le Conseil d’Etat, les revenus perçus dans le cadre d’une opération de cession-bail portant sur des biens immobiliers doivent être considérés comme des revenus financiers, et non comme des revenus provenant de biens immobiliers pour l’application de la convention fiscale franco-allemande.

Pour mémoire, la convention fiscale franco-allemande prévoit que les revenus provenant de biens immobiliers ne sont imposables que dans l’Etat où sont situés ces biens (art. 3, §1). Elle précise expressément que les droits d’usufruit portant sur des biens immobiliers doivent être assimilés à des biens immobiliers (art. 3, §3).

A l’inverse, les intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances, assortis ou non de garanties hypothécaires, ne sont imposables que dans l’Etat contractant dont le bénéficiaire est résident (art. 10, §1).

L’histoire

En 2008, deux sociétés allemandes ont cédé à une société française spécialisée dans les opérations de contrat-bail, l’usufruit d’immeubles qu’elles occupaient en Allemagne, pour des durées de 18 et 15 ans. Ces immeubles ont simultanément été mis à disposition des sociétés cédantes allemandes dans le cadre de contrats de crédit-bail.

Les conventions de cession-bail prévoyaient que le crédit-bailleur français percevrait, pendant 10 ans, des loyers calculés de la même manière qu’un crédit amortissable, le principal étant le prix de cession de l’usufruit, et le taux d’intérêt un taux interbancaire minoré de respectivement 45 et 50 points de base.

La société française a considéré que les « loyers » reçus étaient constitutifs de « revenus provenant de biens immobiliers situés en Allemagne » au sens de la convention franco-allemande, imposables, à ce titre en Allemagne.

L’Administration a cependant estimé que la cession temporaire d’usufruit assortie d’un contrat de location avec option d’achat constituait une opération financière, et que les revenus litigieux devaient être regardés comme des revenus financiers, imposables en France en application de l’article 10 de la convention.

Elle a fondé son redressement sur le terrain de l’abus de droit par fraude à la loi, considérant que les contrats conclus par la société française constituaient un montage artificiel, et qu’en donnant ainsi à des opérations financières l’apparence d’opérations immobilières, elle n’avait poursuivi d’autre finalité que d’éluder l’impôt.

Les juridictions du fond ont confirmé l’existence d’un abus de droit, avant que l’affaire ne soit portée devant le Conseil d’Etat.

La décision

Sur l’existence d’un abus de droit

Le Conseil d’Etat censure la décision des juges d’appel pour erreur de droit, en ce qu’ils n’ont pas correctement fait application des 2 critères constitutifs de la fraude à la loi : le critère objectif (application littérale du texte en contrariété avec l’intention de ses auteurs) et le critère subjectif (exclusivisme fiscal).

Pour mémoire, le Conseil d’Etat a admis, en 2017, que l’Administration puisse remettre en cause le bénéfice d’avantages conventionnels sur le terrain de l’abus de droit par fraude à la loi. Il a, à cette occasion, posé le principe selon lequel est présumée contraire à l’intention de ses auteurs l’application d’une convention fiscale à un montage artificiel dépourvu de toute substance économique (CE, 25 octobre 2017, n°396954).

Au cas d’espèce, il relève que les contrats en cause avaient pour objet de permettre à la société française d’accorder aux sociétés allemandes des financements, garantis par le transfert temporaire de l’usufruit d’immeubles, et que ces contrats avaient effectivement été mis en œuvre, de sorte que le critère de l’exclusivisme fiscal n’était pas satisfait.

Les contrats n’étant pas constitutifs d’un montage artificiel dépourvu de toute substance économique, les opérations litigieuses ne pouvaient, par conséquent, être considérées comme contraires aux objectifs poursuivis par les Etats signataires de la convention – le critère de l’application littérale du texte en contrariété avec l’intention de ses auteurs faisait donc également défaut.

Sur la qualification des revenus litigieux au regard de la convention

Le Conseil d’Etat accueille ensuite la substitution de base légale sollicitée par l’Administration, laquelle demandait, dans l’hypothèse où l’existence d’un abus de droit ne serait pas retenue, la requalification des contrats litigieux en contrats de financement avec intérêts.

Pour se prononcer sur ce point, le Conseil d’Etat procède à une analyse détaillée des stipulations des contrats de cession-bail et des droits dont dispose chacune des parties.

Il relève ainsi les éléments suivants :

  • Le bailleur n’est pas habilité à céder l’exercice de l’usufruit sans l’autorisation préalable du preneur – de manière dérogatoire, en cela, à la législation allemande ;
  • L’usage économique du bien immobilier reste au preneur, aucune cession réelle de l’utilisation des biens n’est prévue ;
  • Le bailleur n’est pas autorisé à transformer ou modifier la propriété, alors que le preneur peut y apporter toute modification sans le consentement du bailleur, si les coûts de ces modifications sont inférieurs à 25 % du paiement de l’usufruit et/ou ne diminuent pas la valeur de la propriété ;
  • Le preneur qui n’exerce pas son option d’achat au terme de la durée du crédit-bail bénéficie d’un droit de préférence en cas de cession à un tiers ;
  • En l’absence d’exercice de l’option d’achat, les sociétés allemandes peuvent prolonger la durée de location jusqu’à l’expiration des droits d’usufruit.

Le Conseil d’Etat en conclut que ces stipulations apportent une telle restriction à l’exercice du droit d’usufruit dont dispose la société française que les contrats litigieux « doivent être regardés comme ayant une substance essentiellement financière et non immobilière ».

Aussi, les revenus tirés des contrats en cause, à hauteur des intérêts et à l’exclusion des loyers et amortissements comptabilisés, doivent bien être qualifiés d’ « intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances » pour l’application de la convention franco-allemande, de sorte qu’ils sont imposables, en France, en vertu de son article 10.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.