« Rabot fiscal » : Prise en compte des intérêts calculés à la suite de la compensation de dettes et créances commerciales

La CAA de Paris juge que les intérêts perçus dans le cadre de contrats de comptes courants permettant de compenser les créances et dettes réciproques entre une société et ses clients présentent une nature financière, et doivent être retenus pour l’application de l’ancien mécanisme de limitation des charges financières (« rabot »).

Rappel

Au titre des exercices ouverts avant le 1er janvier 2019, les entreprises soumises à l’IS dont le montant des charges financières nettes atteignait au moins 3 m€ devaient réintégrer 25 % du montant de ces charges nettes pour la détermination de leur résultat imposable (CGI, art. 212 bis ancien, mécanisme dit du « rabot »).

Le concept de charges financières nettes était précisé par la loi : il s’agissait du total des charges financières venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition de l’entreprise, diminué du total des produits financiers venant rémunérer des sommes laissées ou mises à disposition par l’entreprise.

L’Administration avait dressé une liste (non exhaustive) des charges financières à retenir – en excluant notamment expressément les escomptes commerciaux accordés par l’entreprise ainsi que les pénalités pour paiement tardif (BOI-IS-BASE-35-40, § 50, 30 avril 2014).

L’histoire

Une société exerçant une activité de stockage et de commercialisation de productions agricoles, avait signé avec les agriculteurs avec lesquels elle entretenait des relations commerciales, des contrats de comptes courants permettant de compenser leurs créances et dettes réciproques.

Aux termes de ces contrats, les sommes dues par la société ou les agriculteurs étaient soumises à des rémunérations d’intérêts qui couraient à compter de la date d’échéance des délais de paiement octroyés dans le cadre de leurs relations commerciales.

Toutefois, il était expressément prévu que toutes les opérations réalisées entre la société et ses clients ou ses fournisseurs étaient compensées entre elles, et que le remboursement des comptes créditeurs laissés par les agriculteurs n’était ouvert qu’une fois par an à l’arrêté annuel des comptes.

A l’issue d’un contrôle fiscal portant sur les exercices 2013 à 2017, la qualification des intérêts dus par la société dans ce cadre a fait débat : pénalités pour paiement tardif relatives à des transactions commerciales exclues du champ d’application du mécanisme du « rabot » ? Ou intérêts financiers dont la déductibilité était limitée en application de mécanisme ? 

La décision de la CAA de Paris

La CAA de Paris, confirmant le redressement effectué par l’Administration, retient la qualification d’intérêts financiers en se fondant sur les éléments suivants :

  • Le mécanisme de compensation des dettes et des créances, qui s’opère d’office, produit des intérêts rémunérant des sommes mises à la disposition de la société, lesquelles ne conservent pas leur nature commerciale, dès lors que les intérêts générés sur ces sommes ne rémunèrent pas, en tant que telles, un échange commercial.
  • Les taux d’intérêts dus par la société – proches des taux de marché à court terme – s’appliquent uniquement sur les sommes laissées par les agriculteurs sur le compte courant lorsque ce compte est créditeur. Aussi, ces intérêts ne viennent pas rémunérer un retard de paiement dans le cadre des échanges commerciaux, les factures émises ne mentionnant, de surcroît, pas le taux des pénalités exigibles requis par les dispositions de l’article L. 441-3 du Code de commerce.

Elle précise que la circonstance que les taux différenciés fixés par les conventions relèvent de la liberté contractuelle, les taux applicables aux partenaires commerciaux à échéance trimestrielle étant au moins 3 fois supérieurs à ceux applicables à la société (précisons que, pour les intérêts acquittés par les agriculteurs, l’Administration avait, au contraire, retenu la qualification de pénalités pour paiement tardif) n’a pas d’incidence sur la nature des intérêts dus par la société.

Cette solution – relative à un cas de figure très singulier – nous semble transposable pour l’application des règles ATAD 1 (art. 212 bis et 223 B bis du CGI), dont le champ d’application est plus large que l’ancien mécanisme du rabot.

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Alice de Massiac

Alice a développé depuis plus de 20 ans une large expertise en accompagnant de grands groupes en France et à l’international, tant en conseil qu’en contentieux, anticipant les impacts dans […]

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Clara Maignan

Clara Maignan, avocat, a rejoint les équipes de Deloitte Société d’Avocats en 2011. Elle exerce au sein du Comité Scientifique Fiscal.