Redevance de marque – Existence d’un avantage économique – Frais de marketing

Cet article a été publié dans les Éditions JFA Juristes & Fiscalistes Associés – novembre 2024 et est reproduit sur ce blog avec l’accord de l’éditeur.

Le TA de Versailles, en conformité aux principes directeurs de l’OCDE, rappelle que l’identi­fication du propriétaire économique de la marque et de l’avantage financier procuré par cet actif est une étape nécessaire à la mise en place d’une redevance de marque. Par ailleurs, les juges du fond s’inscrivent dans la jurisprudence constante, en confirmant la déduction de frais de marketing engagés localement lorsque ceux-ci sont nécessaires à l’exploitation de la société.


  • TA Versailles, 5e ch., 14 mai 2024, n°2106534, SAS Nutri­metics France, C (V. annexe 2)


La société Nutrimetics France a pour activité la vente à domicile de produits de beauté. Dans le cadre de son activité, elle verse une redevance de marque à la société liée Tupperware Products SA de droit suisse. Cette redevance s’élève à 4,85 % du chiffre d’affaires net de la société. Elle lui donne le droit de distribuer les produits du groupe sur le territoire français et d’utiliser la marque Nutrimetics dans le cadre de son activité.

À l’issue d’une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, l’administration a estimé que la redevance versée par la société était injustifiée dans son principe, à défaut d’avantage et de contrepartie retiré de la marque Nutrimetics. De surcroît, le service vérificateur a relevé que la société supporte des coûts de promotion et de développement permettant de valoriser la marque détenue par la société suisse. Il a estimé que la redevance de marque versée par la société ainsi que les frais de publicité suppor­ tés en lieu et place du bénéficiaire de la redevance étaient constitutifs d’un transfert indirect de bénéfices au sens de l’article 57 du CGI.

La société a saisi le TA de Versailles afin de contester la position du service.

La propriété économique d’un actif incorporel et l’avantage financier qu’il représente sont les principaux éléments justifiant le versement d’une redevance

Les principes directeurs de l’OCDE subordonnent la mise en place d’une redevance de marque au sein d’un groupe à l’identification du bénéficiaire de la redevance comme le propriétaire de la marque et du bénéficiaire de l’avantage financier que procure l’utilisation de ce nom aux membres du groupe.1

L’identification du propriétaire a évolué au cours des der­nières décennies. Les principes OCDE la déclinent désormais en deux notions que sont la propriété juridique et la propriété économique.

La propriété juridique résulte du droit légal attaché à l’actif incorporel du fait de son enregistrement et octroie au déposant un monopole d’exploitation de l’actif incorporel. Les principes OCDE rappellent que la détermination de la propriété intellectuelle légale est une première étape impor­tante pour l’analyse des transactions portant sur des actifs incorporels2.Néanmoins, les travaux de l’OCDE dans le cadre du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ont largement limité l’importance de la propriété légale lors de l’attribution des profits issus d’actifs incorporels.

Les principes OCDE sattachent ainsi à la seconde notion qu’est la propriété économique. Elle se dégage au terme du schéma d’analyse DEMPE3 qui permet d’identifier les rôles au sein d’un groupe, sur la base de 5 fonctions clés en matière d’actifs incorporels: la mise au point, l’amélioration, l’entre­tien, la protection et l’exploitation.4


L’oeil de la pratique 

La simple propriété juridique ne permet plus à une entité de bénéficier de l’exclusivité du profit issu de l’actif incor­porel concerné. Le propriétaire économique est désormais considéré comme un bénéficiaire légitime des profits tirés de l’exploitation de cet incorporel.5


Au cas particulier, en appliquant ce raisonnement aux faits de l’espèce, l’administration a fait valoir, par un faisceau d’indices, que la société participe à la valorisation de la marque Nutrimetics. Elle indique notamment que la société supporte des coûts propres au développement de la marque, à la différence de la société suisse qui ne supporte aucune dépense de publicité et n’assume aucun risque. Le juge confirme que la société assume un rôle important de développement de la marque sur son marché et détient donc en ce sens une part de la propriété économique.

En ce qui concerne l’avantage financier, le service a fait valoir, toujours par le biais d’un faisceau d’indices, que la société ne retire aucune contrepartie de l’utilisation du nom Nutrimetics. Le service a relevé dans un premier temps que le chiffre d’affaires de la société diminue entre les années 2010 et 2015 et que la société est déficitaire depuis sa créa­tion. Il a observé que ces résultats sont toutefois contraires à l’évolution du marché puisque, sur la même période, les résultats du marché de la cosmétique sont en hausse. De surcroît, la pression concurrentielle sur la société diminue avec le retrait d’un des deux concurrents présents sur son marché.

Dès lors que l’administration a ainsi apporté la preuve de l’existence d’un avantage accordé à la société de droit suisse, au sens de l’article 57 du CGI, le transfert indirect de bénéfices est présumé. La société aurait pu contester cette présomption en justifiant de contreparties, mais elle n’y est pas parvenue.

Le jugement fait apparaître que, lors d’un précédent contrôle, le service avait déjà remis en cause le versement de cette redevance, sur un autre fondement, en contestant le taux excessif de la redevance plutôt que le versement de la redevance elle-même. Or, cette approche oblige le service, sur lequel repose la charge de la preuve, à rejeter l’analyse de comparables de la société, ce qui est rarement tâche aisée, et à fournir sa propre analyse, qui peut être contestable. Plutôt que d’orienter le débat sur le terrain délicat de la sélection d’un panel de comparables, le service a cette fois remis en cause la pertinence de la redevance. 


L’oeil de la pratique 

Alors que l’attention des groupes est souvent focalisée sur l’analyse économique, ce jugement rappelle la nécessité de disposer également d’une analyse de fond justifiant les contreparties au versement d’une redevance de marque.


Les frais de développement de la marque doivent être supportés par le propriétaire économique, sauflorsqu’ils s’inscrivent dans le cadre de l’exploitation de la société

Les fonctions, actifs ou risques d’une société au sein d’un groupe versant une redevance de marque peuvent excéder ceux qu’une société indépendante, disposant de droits équivalents sur un actif incorporel similaire, aurait accepté de supporter. Lorsque cette implication addi­tionnelle contribue à augmenter la valeur de la marque, les principes OCDE reconnaissent qu’une rémunération supplémentaire doit être allouée à la société versant cette redevance.6 La doctrine administrative reconnait également ce principe en considérant que le montant de la redevance doit être apprécié en tenant compte de l’ensemble des avan­tages directs ou indirects que la société française procure à la société étrangère.7

La difficulté réside dans l’identification d’activités et de coûts excédant ceux d’une société indépendante. Dans sa décision SA Lindt &-Sprungli, le Conseil d’État a ainsi validé la réintégration de la redevance payée par une entité française au motif que celle-ci engageait des frais de publicité excédant ses obligations contractuelles, donc en s’impliquant davan­tage qu’un tiers8.

Au cas présent, après avoir rappelé ce principe, les juges du fond ont considéré que les frais engagés par la société sur son marché local s’apparentent principalement à la publicité des produits qu’elle vend plutôt qu’à la marque. Le modèle économique de la société repose en effet exclusivement sur la vente à domicile des produits de beauté via un réseau de vendeurs indépendants. Les vendeurs à domicile ont princi­palement recours à des catalogues imprimés qui portent sur les produits davantage que sur la marque : ils n’ont d’intérêt que pour l’activité du vendeur à domicile et non pour le pro­priétaire de la marque.


L’oeil de la pratique 

Lorsqu’elle supporte des frais marketing, la question à laquelle doit répondre une filiale est donc la suivante : un tiers indépendant comparable aurait-il engagé les mêmes dépenses marketing dans une situation similaire ? Autrement dit, ces dépenses relèvent-elles d’une exploitation normale de la société ?

Dans l’affirmative, les juges ne pourront que confirmer le caractère déductible de ces charges, comme en l’espèce. En pratique néanmoins, il peut s’avérer délicat d’identifier ce qui relève de l’exploitation normale d’une société. Les groupes soumis à de telles problématiques n’hésiteront pas à identi­fier dès que possible les éléments in concreto permettant de justifier de l’exploitation normale de leurs entités.


La transmission d’informations supplémentaires après le délai de mise en demeure peut constituer un défaut de réponse

Ce jugement met également en lumière un aspect pro­cédural intéressant. Pour rappel, si la documentation de prix de transfert n’est pas mise à disposition des vérificateurs au début du contrôle fiscal, l’article L.13 AA du LPF leur donne la possibilité de mettre en demeure le contribuable de produire ces éléments dans un délai de 30 jours, en précisant la nature des compléments attendus. Une réponse partielle expose le contribuable à des sanctions.

Après avoir été mise en demeure, la société a répondu dans le délai imparti en fournissant deux documents por­tant sur la redevance de marque et sur les achats de mar­chandises intragroupe. Quelques mois après expiration du délai né de la mise en demeure, le contribuable a adressé au service vérificateur une synthèse de sa politique de prix de transfert.

À la lecture du jugement, le vérificateur semble n’avoir émis aucun commentaire lors de la réception des premiers documents dans le temps imparti. Les informations sou­mises par la société semblent bien avoir été implicitement acceptées. Or, après réception de ce troisième document, le service s’est interrogé sur le caractère partiel de la réponse initiale. Il a conclu au défaut de réponse initiale de la société et a décidé d’appliquer la sanction. Le TA valide l’approche du service.

Le jugement semble contraire à la lettre de l’article L. 13 AA du LPF, qui impose à l’administration de préciser la nature des éléments attendus. Il revient ainsi à l’adminis­tration d’indiquer, une fois reçus les éléments de réponse à sa demande, si les éléments demandés ont bien été fournis par la société. Cette réponse doit être apportée au regard de l’obligation documentaire, elle ne doit pas empêcher la société de fournir des éléments additionnels lors des opérations de contrôle, en contribuant à faire vivre le principe fondamental du débat oral et contradictoire. 9

Au cas d’espèce, la société aurait pu s’abstenir de fournir davantage d’informations afin d’éviter le recours aux pénalités. La généralisation de cette position du juge pourrait porter atteinte à la volonté des groupes de participer activement aux échanges avec l’administration.

Le jugement commenté s’inscrit néanmoins dans un courant récent de jurisprudence.10 Dans le contexte des dispositions nouvelles issues de la loi de finances pour 2024 11, l’obligation documentaire devient un nouveau point d’attention de l’administration. Le respect de l’obligation documentaire offre une opportunité aux groupes de justi­fier du mieux possible leur politique de prix de transfert, en vue de s’assurer de la qualité des échanges techniques avec l’administration.


 

Principes OCDE (2022), § 6.82 et S.

Ibidem, § 6.34 et S.

Development Enhancement, Maintenance, Protection and Exploitation.

Principes OCDE (2022), § 6.32 et S.

Ibidem, § 6.42 et S.

Ibid.,§ 6.78.

BOI-BIC-BASE-80-20, 2 sept. 2015, § 210.

CE, 4 déc. 2002, n° 237167, SA Lindt & Sprungli.

Charte des droits et obligations du contribuable vérifié (oct. 2023), p. 15.

10  CAA Paris, 12 janv. 2024, n· 21PA04452, Min. c/ SAS Itron France, concl. B. Sibilli. – CE, 5 juill. 2023, n· 464928, SA ST Dupont, concl. R. Victor: Lebon T.; FI 4-2023, n· 4, § 30; RJF 10/23 n· 697.

11 L. 2023-1322, 29 déc. 2023 de finances pour 2024, art. 116.

Photo de Eric Lesprit
Eric Lesprit

Eric a plus de 25 ans d’expérience en matière de fiscalité internationale, notamment en matière de prix de transfert. Il a exercé différentes responsabilités au sein de la Direction Générale […]

Nadir Ait-hamadouche

Junior in Tax and Legal | Transfer Pricing

Mélanie Arrighi

Avocate en fiscalité internationale – Prix de Transfert chez Deloitte Société d’Avocats.