Une proposition de rectification est interruptive de prescription à la date de présentation du pli avec avis de mise en instance : absence d’unification de l’appréciation des délais.
CE 14 octobre 2015, n°378503, min. c/M. et Mme Brochet
En matière de procédure fiscale, le respect des délais est primordial tant pour le contribuable que pour l’Administration. Ne pas les respecter peut avoir de lourdes conséquences pour chacun d’entre eux. Nous nous en faisions l’écho, il y a un an, dans un commentaire en matière d’envoi des réclamations par les contribuables (RDF, n°6, 5 février 2015).
Par un arrêt du 14 octobre 2015, le Conseil d’Etat se prononce une nouvelle fois sur cette problématique. La Haute Assemblée est ainsi venue préciser la date devant être prise en compte lors de l’envoi d’une proposition de rectification par l’administration fiscale pour apprécier le respect du délai de reprise.
Nous rappellerons que, de façon générale en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés, l’Administration dispose d’un délai de reprise qui s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due (article L.169 du LPF).
Ce délai de reprise est interrompu par la notification d’une proposition de rectification (article L.189 du LPF).
La question de la date de la notification de cette proposition de rectification est donc primordiale.
La principale problématique en la matière tient au fait que les modalités de notification ne sont pas précisées par les textes. En pratique, les propositions de rectifications sont généralement notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception ou, de façon plus marginale, par exploit d’huissier ou par remise en main propre.
C’est ici que l’arrêt de la haute assemblée présente tout son intérêt. En effet, les courriers recommandés avec accusé de réception peuvent soulever de nombreuses problématiques. Ces courriers font l’objet, en l’absence du contribuable, du dépôt d’un avis de passage. Le contribuable pouvant retirer le courrier auprès de son bureau de poste dans un délai de 15 jours.
Toute la question est alors de savoir quand ce courrier est considéré comme étant notifié. En effet, il arrive fréquemment que ces courriers soient présentés avant la fin du délai de reprise mais retirés par le contribuable après ce délai.
Une jurisprudence ancienne et constante considère que la prescription est interrompue lorsque la lettre recommandée portant notification de redressement a été présentée avant l’expiration du délai de reprise à l’adresse du contribuable, et qu’un avis de passage a été déposé, même si le contribuable n’a retiré le pli qu’après l’expiration du délai de prescription (en ce sens CE, 7e et 8e s.-s. 13 déc. 1978, n°9063).
Toutefois, un arrêt de 2012 est venu jeter le trouble sur cette jurisprudence établie de longue date. Par cet arrêt le Conseil d’Etat a indiqué que « la date d’interruption de la prescription est celle à laquelle le pli contenant la notification de redressement est remis au contribuable ; que, dans le cas où le contribuable a négligé de retirer le pli mis en instance faute d’avoir pu lui être remis, la date à prendre en compte est celle à laquelle ce courrier avait été présenté à son adresse » (CE, 10e et 9e ss-sect., 7 nov. 2012, n°343169, M. Hirigoyen).
Certains contribuables et certaines juridictions (CAA Nantes, 1re ch, 11 déc. 2014, n°13NT00993, M. et Mme Ozcan) avaient pu déduire de cet arrêt qu’un courrier présenté avant l’expiration du délai de reprise mais retiré par le contribuable après ce délai, et dans les quinze jours de mise à disposition, devait être considéré comme remis à la date de ce retrait.
Ainsi par exemple, une proposition de rectification portant sur l’impôt sur le revenu 2012, 2013 et 2014 présentée une première fois le 28 décembre 2015 en l’absence du contribuable, mais retirée par ce dernier le 5 janvier 2016, pouvait être considéré comme interrompant le délai à compter de cette dernière date. En conséquence, le courrier ayant été remis après le délai de reprise de l’Administration, l’année 2012 pouvait être considérée comme prescrite.
C’est dans le cadre d’une situation similaire que le Conseil d’Etat a eu à se prononcer.
Sa décision est fortement emprunte de pragmatisme et vise à mettre un terme à l’interprétation qui avait pu être faite de l’arrêt Hirigoyen précité.
Le Conseil d’Etat est venu affirmer que « la date d’interruption de la prescription est celle à laquelle le pli contenant la proposition de rectification a été présentée à l’adresse du contribuable ; qu’il en va de même lorsque le pli n’a pas pu lui être remis lors de la présentation et que, avisé de sa mise en instance, il l’a retiré ultérieurement ou a négligé de le retiré ».
En d’autres termes, c’est la date de première présentation qui doit être retenue, peu importe le comportement ultérieur du contribuable. L’arrêt ne fait aucune distinction entre un retrait qui aurait eu lieu ou non dans le délai de 15 jours pendant lequel le courrier est disponible au bureau de poste.
La lecture des conclusions du rapporteur public, Emmanuelle Cortot-Boucher, permet de comprendre la logique qui sous-tend cette décision.
Le Conseil d’Etat n’a pas voulu faire dépendre du comportement du contribuable ou des délais postaux, le respect du délai de reprise par l’administration fiscale. En effet, la jurisprudence Hirigoyen pouvait conduire les contribuables ayant fait l’objet d’un contrôle fiscal ou d’un examen de situation fiscale personnelle, à ne retirer leur recommandé qu’en janvier de l’année suivante pour espérer bénéficier de la prescription d’une des années vérifiées. Toutefois, l’Administration restait vigilante en remettant la notification de fin d’année en mains propres ou par voie d’huissier.
Si cet arrêt a le mérite de préciser clairement la date d’interruption du délai de prescription, il est pour autant sans incidence sur la date à retenir pour apprécier le délai dont dispose le contribuable pour présenter ses observations.
Nous rappellerons que le contribuable dispose d’un délai de 30 jours (prorogeable) pour présenter ses observations à la proposition de rectification. A défaut de respecter ce délai, il est considéré comme ayant accepté cette proposition ce qui a pour conséquence d’inverser la charge de la preuve dans le cadre d’un contentieux.
Or, ce délai de 30 jours commence à courir soit à la date du retrait effectif du courrier, soit, si le courrier n’a pas été retiré, à la date de présentation du courrier.
Ainsi, un même acte, en l’espèce la proposition de rectification, peut engendrer la naissance de deux dates distinctes pour apprécier les droits de chacune des parties : date de première présentation pour l’interruption du délai de reprise de l’Administration ; date de retrait ou date de première présentation pour apprécier le délai de 30 jours dont dispose le contribuable pour présenter ses observations.
Il ne s’agit ici que d’une illustration de la complexité d’appréciation des délais dans le cadre du contentieux fiscal.
Sans vouloir faire une présentation exhaustive des différents délais, mais simplement pour illustrer notre propos, nous pouvons préciser que le contribuable devra s’assurer que ces observations seront reçues par l’Administration dans le délai de trente jours.
Si, après mise en recouvrement, le contribuable entend présenter une réclamation contentieuse, le respect du délai de réclamation dont dispose ce dernier sera apprécié au regard de la date d’envoi de la réclamation.
Date d’envoi, de réception, de présentation, autant de modalités d’appréciation des délais qu’il est indispensable d’avoir à l’esprit pour ne pas se voir privé de ses possibilités d’action.