Réforme fiscale US : à la rentrée, rien ne change, vraiment ?

Juste avant Noël, les parlementaires américains ont clos la session sur un constat de désaccord sur le texte du Build Back Better Act. Notamment, le Sénateur Démocrate Manchin a fait connaître son opposition sur plusieurs aspects, non liés à la fiscalité des entreprises, mais essentiels à l’équilibre du projet et tout spécialement son équilibre budgétaire. Le vote de tous les sénateurs démocrates étant indispensable à un succès du projet de loi, son blocage signe pour le moment l’arrêt total du Build Back Better Act.

Le Président a indiqué que pour autant, la réforme n’était pas abandonnée et que les négociations reprendraient en janvier, pour parvenir à un vote en 2022. La remise en cause du Build Back Better Act signerait non seulement la fin d’un certain nombre de mesures sociales clés de la campagne électorale 2020, mais également une refonte importante de la fiscalité des entreprises.

Quels impacts pour les exercices clos en 2021 ?

Le Tax Cut and Jobs Act de 2017 (la « réforme Trump ») continue de s’appliquer faute de texte qui abrogerait ou étendrait certaines de ses mesures.

Notamment, l’absence de Build Back Better Act ne signifie pas l’absence de tout changement en 2022 : certaines mesures votées en 2017 incluaient des dispositions transitoires avec clauses de sortie ou de durcissement progressives (« sunset clauses ») applicables à compter de 2022. Ces changements faisant partie du corpus législatif voté, ils doivent être pris en compte pour les comptes 2021, et notamment l’évaluation des impôts différés.

Quelles sont les changements à anticiper ?

  • Le taux de l’impôt, actuellement de 21%, ne changera pas. A ce stade, il n’est plus besoin d’anticiper un retour d’un impôt minimum de 15%, malgré le soutien affiché des États-Unis au cadre inclusif de l’OCDE (en particulier Pilier 2).
  • La règle de limitation de la déduction des intérêts est durcie. L’article 163(j) prévoit, de façon similaire aux règles ATAD1 telles que transposées en France, un plafond de déduction des intérêts fixé à 30% de l’EBITDA taxable. Dans la réforme Trump, ce seuil doit passer à 30% de l’EBIT taxable à compter des exercices ouverts en 2022, ce qui pénalise tout particulièrement les entreprises industrielles et plus généralement toutes celles qui réalisent des investissements importants avec un impact fort des amortissements sur leur résultat.
  • Les dépenses de R&D devront être immobilisées et ne seront donc plus admises en déduction du résultat de l’exercice au cours duquel elles sont engagées (article 174). La durée d’amortissement passera à 5 ans pour la recherche effectuée aux États-Unis, 15 ans si elle est menée à l’étranger. Le Build Back Better Act prévoyait de repousser cette règle d’immobilisation obligatoire de 4 ans.
  • Certains crédits d’impôt en faveur d’un verdissement des ressources énergétiques sont supprimés à compter de cette année.
  • En revanche, aucun changement n’est plus à l’ordre du jour concernant les règles GILTI et FDII, ce qui veut dire que des multinationales américaines pourraient se retrouver en situation de ne pas pouvoir mettre en œuvre les règles du Pilier 2 en 2023, et par voie de conséquence déclencher l’application de la RPII (règle relative aux paiements insuffisamment imposés) dans d’autres juridictions, notamment en Europe à compter de l’entrée en vigueur de la Directive Pilier 2 en 2024.
    On rappellera simplement qu’à moyen terme, le taux de l’impôt sur les revenus FDII doit passer de 13,125% à 16,4% et celui de GILTI de 10,5% à 13,125% à compter de 2025.
  • Enfin, concernant l’impôt minimum BEAT, le taux minimum passera de 10% actuellement à 12,5% ou 13,5% selon le domaine d’activité en 2026.

Les dispositions de Build Back Better Act peuvent-elle encore s’appliquer aux exercices ouverts en 2022 ?

Dans l’hypothèse où le Congrès voterait les règles fiscales prévues dans le dernier projet de Build Back Better Act, une application rétroactive n’est pas à exclure. Certes, les règles américaines à l’inverse de ce qui est usuel dans le cadre des Lois de Finances Rectificatives françaises, ne sont généralement pas applicables rétroactivement, mais le Congrès a déjà eu par le passé l’occasion de réintroduire des extensions de mesures transitoires de façon rétroactive. Ce point sera à suivre dans les prochains débats, mais des changements dans les comptes semestriels 2022 ne peuvent pas (encore) être totalement écartés.

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Nathalie Aymé

Nathalie Aymé, Avocat Associée, intervient en fiscalité française et internationale pour le compte de groupes multinationaux, principalement dans les secteurs de l’industrie et des technologies et télécommunications. Elle assiste ses […]