Le Règlement déforestation vient de nouveau être reporté, cette fois pour une première entrée en application fixée au 30 décembre 2026. Retour sur les enjeux d’un texte au parcours mouvementé.
Le Règlement (UE) 2023/1115 relatif aux produits sans déforestation, dit RDUE (EU Deforestation Regulation – EUDR en anglais), adopté par le Parlement européen le 19 avril 2023 et entré en vigueur le 29 juin 2023, vise à lutter contre le changement climatique et la perte de biodiversité en interdisant la commercialisation au sein du marché unique (UE) de produits issus de terres déboisées après le 31 décembre 2020.
Règlement Déforestation : de quoi parle-t-on ?
Le RDUE cible 7 produits de base (bovins, cacao, café, palmier à huile, caoutchouc, soja et bois), dont les produits qui en sont issus, identifiés par leur code dans la nomenclature douanière (par ex., la farine de fève de soja), sont importés au sein de l’UE ou exportés depuis le territoire de l’UE.
Les entreprises importatrices doivent, pour ces produits en cause, collecter des informations sur les producteurs et établir des déclarations de diligence raisonnable, afin de s’assurer que ces produits ne contribuent pas à la déforestation et sont produits conformément à la législation locale. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 420 millions d’hectares de forêts ont été perdus entre 1990 et 2020, l’UE étant responsable d’environ 10 % de la déforestation mondiale, principalement en raison de sa consommation d’huile de palme et de soja.
Ce règlement s’inscrit dans le cadre du Pacte vert européen, visant la neutralité climatique du continent d’ici à 2050.
Calendrier initial d’application
Si le règlement est entré en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’Union européenne (JOUE), sa date d’application avait été échelonnée, initialement :
- au 30 décembre 2024, de manière générale ; et
- au 30 juin 2025 pour les microentreprises et les petites entreprises.
Un premier report en 2024
Dès 2024, la Commission européenne a proposé un report d’un an, accepté par le Parlement européen et le Conseil, tout en maintenant la progressivité de la conformité, avec deux vagues d’application.
Le règlement devait donc entrer en application :
- au 30 décembre 2025, de manière générale ; et
- au 30 juin 2026 pour les microentreprises et les petites entreprises qui bénéficieraient d’une année supplémentaire d’anticipation.
Ce report était triplement justifié.
D’abord, par le besoin de donner le temps aux entreprises, aux autorités et aux partenaires commerciaux d’anticiper la mise en œuvre, en particulier le respect des exigences de traçabilité et de diligence raisonnable.
Ensuite, en raison des pressions des milieux industriels et de pays tiers (comme les États-Unis, le Brésil et l’Indonésie), critiquant l’absence d’orientations appropriées et explicite pendant la phase de transition.
Enfin, a été avancé le besoin de renforcement du système informatique Traces pour traiter les déclarations électroniques.
Ce report a été voté, publié au JOUE : il constitue le droit positif.
Un second report, le 26 novembre 2025
Invoquant des obstacles persistants, fin septembre 2025, la Commission a, de nouveau, proposé un report d’un an. Cette proposition a été largement approuvée par le Parlement européen avec 402 voix pour, 250 contre et 8 abstentions.
Ce texte vient d’être validé par le Conseil européen (donc par les États membres) et le Parlement doit voter cet accord durant la séance plénière du 15 au 18 décembre 2025, dernière étape pour que ce second report et les mesures de simplification entrent en vigueur.
Point de vigilance : À défaut de vote, le premier report demeurera en vigueur.
Si l’accord venait à être adopté, le règlement entrerait alors en application :
- le 30 décembre 2026, de manière générale ; et
- le 30 juin 2027 pour les microentreprises et les petites entreprises.
Les raisons de ce second report
Les principales raisons invoquées recoupent celles mise en avant lors du premier report.
En premier lieu, des obstacles techniques car le système informatique Traces ne serait pas prêt à gérer, dès le 1er janvier 2026, le flux massif d’informations provenant des opérateurs économiques.
En second lieu, sont invoquées les pressions externes et internes. D’un côté, une réticence des milieux industriels et de groupes politiques ; de l’autre côté, des pays tiers vindicatifs (États-Unis, Brésil et Indonésie). Ces derniers avancent que les exigences seraient trop élevées pour les agriculteurs et les sylviculteurs, ou que l’impact sur les exportations serait trop important.
En troisième lieu, la Commission fait état du contexte politique européen. Les dernières élections ayant renforcé la présence de la droite et de l’extrême droite au Parlement européen, un accord de consensus serait incertain (euphémisme !).
Enfin, en quatrième lieu, d’autres facteurs sont également invoqués, tels que l’objectif de réduction de la charge administrative pour les entreprises et celui de diminution des pressions inflationnistes sur les prix alimentaires pour les consommateurs européens.
Face à cela, les organisations environnementales y voient, quant à elle, un « coup de tronçonneuse » aux forêts.
L’Union européenne face à la réalité économique ?
Une autre lecture est également possible : face au principe de réalité, pour ne pas abandonner l’ambition ultime, il est nécessaire de procéder avec plus de pragmatisme de manière à permettre aux opérateurs non seulement de s’approprier le mécanisme, mais également d’agir de manière que celui-ci soit efficace.
Simplification du droit
Plus généralement, à ce deuxième report sont associées des mesures de simplification, conformément au projet général de simplification du droit de l’Union mis en avant par la Commission (Omnibus en matière de CRSD et de CS3D, ainsi qu’en matière de numérique). C’est là une conséquence directe des rapports Letta, Bien plus qu’un marché (2024) et, plus encore, Draghi, L’avenir de la compétitivité européenne (2024).
C’est ainsi que le Parlement européen a approuvé des mesures ciblées pour faciliter la mise en œuvre du Règlement Déforestation. Dorénavant, la responsabilité pour soumettre une déclaration de diligence raisonnable incombera principalement à l’entreprise qui introduit le produit sur le marché UE, et non plus aux opérateurs économiques ultérieurs. Quant aux microentreprises et aux petites entreprises, elles seront soumises à une déclaration simplifiée unique. Enfin, les produits imprimés ont été retirés du champ d’application du règlement (cette dernière “simplification” est la réponse à la pression politique des États-Unis).
Cet examen de simplification est prévu d’ici le 30 avril 2026, avec en particulier la publication d’un rapport évaluant l’impact et la charge administrative du règlement.
Quelles perspectives et quels impacts du second report ?
Il est difficile, déjà, d’ignorer que ce double report interroge les intentions de l’Union européenne vis-à-vis du Pacte vert, perçu par certains comme affaibli. Certes, il offre un répit aux entreprises mais il est critiqué par les ONG environnementales comme un recul symbolique. Cela alimente des débats, vindicatifs, peu productifs et entraîne une tension politique palpable au sein des institutions européennes, en particulier le Parlement.
Mais un plus grand pragmatisme est, sans doute, également le seul – et le meilleur – moyen de rendre effectifs ces changements de fond des pratiques commerciales afin d’en minimiser les incidences négatives.
