Renégocier sa dette en période de crise… attention aux conséquences fiscales pour le débiteur US

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Dans le contexte économique actuel, de nombreuses sociétés endettées peuvent se trouver en difficulté pour faire face aux remboursements à échoir ou se conformer à leurs covenants en raison des tensions sur leur trésorerie. Si la renégociation de dette peut apparaître comme un soulagement financier, il convient d’être vigilant sur ses potentiels effets fiscaux secondaires.

En fiscalité américaine, certaines modifications jugées significatives apportées aux instruments de dette sont considérées comme une annulation de la dette existante immédiatement suivie de l’émission d’une nouvelle dette, le tout entraînant la constatation d’un profit imposable.

Situations visées : dans quel cas y a-t-il changement significatif ?

Le caractère significatif des changements opérés dépend d’un ensemble de circonstances, dont :

  • Un changement de taux de plus de 0.25 points de base ou 5% du taux initial
  • Une modification importante du calendrier des remboursements. Toutefois, le report des échéances (principal ou intérêts) à une date située moins de 5 ans après la date de remboursement initiale, ou à moins de 50% de la maturité du prêt, ne sera pas considéré comme une modification importante du calendrier
  • Un changement de créancier ou changement dans les sûretés attachées à l’instrument de dette (passage d’un emprunt sans sûreté à un emprunt avec sûreté, ou changement dans la nature des sûretés fournies)

Lorsque l’une au moins de ces conditions est remplie, le prêt renégocié est réputé avoir subi une modification significative.

A l’inverse, une modification des covenants ne devrait pas, en principe, être classée au rang des changements significatifs, sous réserve qu’elle n’ait pas trait à l’une des caractéristiques mentionnées plus haut.

Que se passe-t-il en cas de changement significatif ?

Vérifier que le nouvel emprunt peut être effectivement qualifié comme tel…

De la même façon qu’en France, la cession d’une créance sans notification du débiteur cédé peut permettre à l’administration fiscale de considérer que ce dernier a bénéficié d’un abandon (taxable) de son ancienne dette, suivi de la conclusion d’un nouvel emprunt, cela même en l’absence d’acte ou même de volonté de renonciation de la part du cédant, un ou plusieurs changements significatifs entraînent en droit fiscal américain l’annulation présumée de l’ancien instrument de dette et l’apparition concomitante d’un nouvel instrument.

Dans un premier temps, il conviendra de veiller à procéder à un nouvel examen de ses caractéristiques pour déterminer s’il peut toujours être qualifié de dette au sens de la législation fiscale US.

On rappellera en effet brièvement à ce sujet qu’en fiscalité américaine, un emprunt peut ne pas être considéré comme tel si ses caractéristiques ne concordent pas suffisamment avec les caractéristiques habituelles d’un titre de créance, telles que l’existence d’une obligation de remboursement, une date de maturité, des recours en cas de défaut… et, plus délicat en période de crise, la capacit/é de l’émetteur à rembourser l’emprunt, appréciée à sa date d’émission. Il est ainsi possible qu’une renégociation de certains aspects de la dette en raison même de la fragilité financière de l’emprunteur aboutisse à ce que le « nouvel » emprunt ne soit plus admis comme dette et les intérêts exclus intégralement du droit à déduction.

… et dans l’affirmative, évaluer l’éventuel profit d’annulation

Dans l’hypothèse où le nouvel instrument de dette serait effectivement traité comme de la dette, l’emprunteur est considéré comme ayant substitué à l’ancien instrument le nouveau, pour un prix égal à la valeur du nouvel instrument de dette. Autrement dit, si la valeur réelle du nouvel instrument de dette est inférieure à la valeur faciale de l’ancien instrument, l’émetteur pourra être amené à constater un profit issu d’une annulation de dette à hauteur de cette différence.

Dans une situation où l’émetteur est en difficulté financière, la valeur de marché de l’instrument de dette à la date de l’échange ou novation sera logiquement inférieure à sa valeur faciale. Ainsi, alors même que la société n’aurait pas obtenu de remise ou annulation de dette mais un simple report de ses échéances ou le refinancement en contrepartie d’un nantissement d’actif, elle devrait néanmoins déclarer un profit d’annulation pour un montant égal à la différence entre la valeur faciale de sa dette et sa valeur de marché. Une exception est cependant admise pour les emprunteurs en situation d’insolvabilité ou de cessation de paiements, de sorte que pour ces contribuables, le profit d’annulation n’est pas taxable, mais dans la mesure où les procédures collectives entraînent par ailleurs la perte partielle des attributs fiscaux existant à la date d’entrée dans la procédure, la situation ne sera pas sans conséquence.

Pour les groupes étrangers, la reconnaissance par le droit américain d’éventuelles procédures collectives appliquées à la tête de groupe pour invoquer l’exception à la taxation du profit d’annulation sera à vérifier au cas par cas, surtout si la filiale américaine elle-même n’est pas directement visée par la procédure.

Autres effets à anticiper

Le profit d’annulation constitue un bénéfice imposable ordinaire, sur lequel les déficits de l’exercice pourront s’imputer en totalité, de même que les éventuels reports déficitaires des exercices précédents. La société se privera cela étant de la possibilité ouverte par le CARES Act de reporter en arrière ces déficits sur des profits antérieurs taxés à 35%, dès lors qu’ils auront été utilisés pour réduire ce produit imposable à 21%.

En contrepartie, le profit d’annulation entrant dans la base imposable au taux plein, elle vient augmenter l’EBITDA fiscal de la société servant à déterminer le plafond de déduction des charges financières (article 163(j) de l’Internal Revenue Code), à hauteur de 30%, porté temporairement à 50% par le CARES Act.

On rappellera toutefois qu’en droit américain, les intérêts ne sont déductibles que s’ils sont payés, de sorte que si la renégociation consiste à différer le paiement des intérêts échus, aucune déduction ne pourra intervenir dans l’immédiat. La capacité de déduction (EBITDA fiscal) qui n’aurait pas été utilisée une année (notamment l’année de la renégociation de la dette ayant abouti à la constatation du profit d’annulation) est, elle, définitivement perdue.

Il convient ainsi de bien soupeser les modifications souhaitées pour la renégociation de dette afin d’éviter dans la mesure du possible une requalification et, dans le cas inverse, éviter une réintégration totale des intérêts et anticiper les impacts immédiats (coût fiscal en trésorerie ou en diminution d’impôts différés actifs) et futurs (déduction plus large des intérêts rééchelonnés).

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Nathalie Aymé

Nathalie Aymé, Avocat Associée, intervient en fiscalité française et internationale pour le compte de groupes multinationaux, principalement dans les secteurs de l’industrie et des technologies et télécommunications. Elle assiste ses […]